Depuis ce matin, une publicité hante la première page de Yahoo. Son argument est : " votez Croustibat... Imaginez que 100
emplois soient créés si une boîte de plus était achetée par foyer..."
Croustibat, produit de Findus, ose asséner au consommateur un chantage
ignoble : achète nos produits et nous créerons des emplois. Sinon... Sinon le chômage.
En cliquant sur la publicité, nous arrivons sur ce site
:
Quel est le message diffusé par l'entreprise ? J'ai appliqué mon traducteur stoniste-léniniste, voilà le résultat :
Bravo, Findus ! Un nouveau pas est franchi dans l'art consommé de l'abjection. Au passage, saluons le grand apport de la
profession des publicitaires pour améliorer la condition humaine.
J'en ai parlé à mes vieux, qui au début n'étaient pas super chauds. A force de les saouler, ils ont fini par céder. A
l'époque, une Super Nintendo, c'était tout un investissement. Je pense que la Super Nes coûtait 1 500 F, et les revenus de mes parents ne dépassaient pas 10 000 F. Je m'en rendais compte et
j'étais d'autant plus heureux qu'ils aient accepté.
A l'école j'ai dit à des garçons de ma classe que j'allais avoir une Super Nintendo pour mon anniversaire.
Ils ont ricané : " Non t'en auras pas, t'es trop pauvre".
Eux, ils en avaient une, de Super Nintendo. Mais c'étaient de "petits bourges", enfin, des gosses dont les parents
gagnaient au moins le double des miens. Ils m'ont blessé et j'ai rétorqué :
- Si j'en aurai une, mes parents me l'ont dit !
- Tes parents t'ont menti.
Le pire, ce n'était pas qu'ils gloussaient en se moquant de moi, mais qu'ils étaient certains de ce qu'ils disaient. Je
n'ai pas flanché, je savais que mes parents ne mythonaient pas, quand ils me promettaient quelque chose, je l'avais toujours - sinon ils ne me l'auraient jamais promise.
J'ai eu ma Super Nintendo. Je suis allé le leur dire, aux "petits bourges". Vous savez ce qu'ils m'ont répondu ? Très
sérieusement ? " De toute façon, t'auras pas beaucoup de jeux ". Ils n'étaient pas hargneux, ils étaient froids, observateurs, ils venaient d'énoncer un constat.
Cette histoire fut l'une de mes premières expérimentations de la haine de classe. Un dressage idéologique sans pareil, et je souhaiterais aujourd'hui remercier ces "petits
bourges" pour m'avoir très vite fait comprendre comment les choses fonctionnaient.
J'ai perdu un talent inné pour la manipulation et le mensonge. Quand j'étais ado, je pouvais faire avaler n'importe
quoi à presque n'importe qui. Je me souviens avoir involontairement fait croire à mes potes que j'avais de la famille dans le grand banditisme et le trafic de drogues, filiation qui me
promettait, au décès de mes aïeux, un héritage de plusieurs millions de francs. J'ai écrit involontairementcar, quand je racontais cette histoire, je
le faisais en pratiquant l'humour à froid. J'empruntais un ton sérieux, mais évidemment, je déconnais. Pour mes potes, je ne déconnais pas. Un jour, comme nous discutions du métier que nous
voulions choisir – c'était le moment de choisir l'orientation du bac, je pense – mes potes me dirent : « oui mais toi, t'as pas besoin d'apprendre un métier puisque tu auras
bientôt l'héritage de tes oncles mafieux ». Ils ne rigolaient pas. J'oscillai alors entre la stupéfaction et l'horreur, tel le scientifique ayant
accidentellement opéré une mutation monstrueuse à partir de gènes d'un ornithorynque et d'un lama.
Cet exemple demeure marginal. Mes talents de menteur et de manipulateur agissaient surtout sur les adultes. J'ai rendu
des profs à moitié névrosés à force de les balader, en cours, de débats futiles en controverses stériles. Je savais m'y prendre pour qu'ils n'abandonnent pas la discussion.
Malgré tout, je savais aussi me rendre particulièrement attachant – quand je le désirais. J'étais très doué pour la drague et la séduction en général.
J'aimerais toujours savoir faire.
Je ne sais pas quand j'ai perdu ces capacités. Aujourd'hui, je suis balourd, pataud, ou trop niais ou trop agressif.
Bref, je suis une catastrophe en société et en politico-mondain. Lorsque je mens, je suis mal à l'aise, gêné, embarrassé. Je peux le faire, et même plutôt bien, mais dans ces cas-là, l'exercice
me demande une concentration intense. Avant, je mentais comme je respirais.
A quinze ans, je me suis fait choper à la Fnac en train de faucher des CD. Vingt minutes plus tard, le responsable de
la sécurité me raccompagnait dehors en s'excusant presque de m'avoir intercepté. Je leur avais servi une grande tirade vibrante sur mon statut de jeune désœuvré, assortie d'une critique politique
et sociale assez subtile pour ne pas agacer. J'ai su manœuvrer pour susciter la sympathie et la pitié.
Je plains les autres zigues qui n'avaient pas l'esprit assez matois pour ce genre de
caresses.
Nous en venons donc au fait : comment obtenir une note qui déchire à l'oral de français. Si tu es en bac techno ou
pro, ce sera plus facile.
J'ai eu 18/20 à l'oral de français, section STT – de nos jours STG.
Si l'Education Nationale n'a pas changé les règles du jeu, et si mes souvenirs sont bons, la note de l'oral se
décompose comme suit : 10 points sur ta connaissance du texte tiré au sort et 10 points sur l'entretien à l'oral.
Pour la connaissance du texte tiré au sort, là, tu n'as pas le choix, tu dois connaître tes petits topos par cœur.
J'étais en bac techno, nous devions en avoir une dizaine, ce n'était pas énorme. Fais un effort là-dessus, apprends tout par cœur, voilà déjà 10 points d'assurés.
Ensuite, les 10 points de la discussion avec l'examinateur. Ce sont toujours les 10 points qui effraient le plus. Mais,
rassure-toi jeune lecteur ! Au contraire, ce sont les plus faciles à glaner.
La seule condition pour taper au moins quatre ou cinq points lors de l'entretien,
c'est d'avoir lu Du côté de chez Swann de Proust, ou si t'es
vraiment flemmard, Un amour de Swann du même auteur (c'est la deuxième partie de Du côté de chez Swann).
Lis donc ce bouquin avant d'aller à l'oral. Au pire des cas, mate le film.
Que t'aies aimé ou pas, on s'en bat les couilles.
Le jour de l'oral, fais un effort de présentation.
La mode dans mon lycée et mon milieu social, à l'époque, était le survêt de marque de racaillou pathétique. Le jour de l'oral, j'ai enfilé un survêt Sergio Tacchini (« la marque préférée de Joey Starr » et
ouais j'avais des références qui tuent) de couleur sombre, bien coupé, pas le machin informe où tu nages dedans. J'avais ouvert un peu le col, mis une chemise blanche dessous et noué une
cravate.
Des modèles solides pour
construire sa personnalité
Bon, j'avoue, à l'origine, je m'étais fringué comme ça pour faire marrer mes potes. Ce qui avait fonctionné. N'empêche,
j'étais classe avec ma cravate et l'examinateur s'y est montré sensible.
Je ne sais pas trop comment les jeunes s'habillent aujourd'hui, mais le coup de la cravate ça marche bien à condition
de ne pas l'accoupler à un costume (sinon ça fait trop).
Une fois devant l'examinateur, ne te la pète surtout pas et reste assez toi-même. Dans mon cas, j'avais l'élocution à
peu près aussi claire et agréable à entendre que celle dudit Joey Starr précédemment cité. Devant l'examinateur, j'ai forcé pour parler plus distinctement mais sans me déguiser non plus.
L'examinateur doit comprendre que tu es un jeune désœuvré à tendance racaillou pathétique (c'est important pour la suite) qui fait des efforts quand même.
Fais ton petit topo sur le texte tiré au sort d'une voix pas trop monocorde, genre ça t'intéresse un
minimum.
Une fois ton petit topo terminé, l'examinateur va entamer une conversation avec toi sur le texte. Il va te poser une
des questions suivantes : Ce texte vous a plu ? Qu'est-ce que vous en avez retenu ? Qu'en avez-vous pensé ?
Nous sommes arrivés à l'instant critique super important. Tu dois prendre une tronche
faussement embarrassée, accoucher d'un petit sourire amusé et répondre : « POUR ETRE HONNETE J'AI PAS TROP AIME. » Nous jouons sur l'effet de surprise. Le prof s'attend en effet à
ce que tu répondes, comme 99 % des candidats :Bof chais pas trop(les flemmards)Oh j'ai adoré !(les fayots)Ben j'en pense rien en fait(les mollusques).
De toute façon, vu les textes qu'on lit pour le bac de français, t'as de grandes chances de ne pas avoir aimé. Baudelaire : chiant. Maupassant : chiant. Flaubert : chiant.
Hugo : chiant. Moi j'étais tombé sur Bel Ami (« l'apothéose de
Duroy »), franchement j'ai pas eu à me forcer pour dire que « j'avais pas trop aimé ».
L'examinateur est intrigué. Il va te demander pourquoi tu n'as pas aimé. S'ouvre enfin devant toi le boulevard
proustien que, en bon manipulateur, tu attendais depuis le début de l'oral.
Dans la suite de la conversation que tu auras avec l'examinateur, reste humble, discret, n'en fais pas des tonnes.
Souriant, mais un peu timide. Ce n'était pas du tout ma vraie personnalité mais, en sortant l'atout Proust, je jouais gros et serré. Je devais faire profil bas.
Donc le prof intrigué te demande : Mais mon garçon peut-on savoir pourquoi vous n'avez pas aimé ce roman de
Maupassant si intéressant, si passionnant, si tellement adapté aux préoccupations d'un jeune branleur de seize ans que je ne comprends absolument pas votre réaction ? Non, je déconne,
il dira pas que t'es un jeune branleur de seize ans. Enfin il te demandera pourquoi t'as point kiffé le texte.
Là, tu as deux options.
Option 1 : le texte tiré au sort est plutôt optimiste sur la nature humaine et la vie globalement. Tu
répondras : PARCE QUE CETTE ANNEE J'AI LU UN LIVRE ETRANGE ECRIT PAR PROUST ET CA ECLIPSE TOUTES MES AUTRES LECTURES.
Option 2 : le texte tiré au sort est plutôt pessimiste sur la nature humaine et la vie globalement. Tu
répondras : PARCE QUE CETTE ANNEE J'AI LU UN LIVRE DE PROUST ET DEPUIS J'AI UNE GRANDE ADMIRATION POUR LA NATURE HUMAINE.
Alors là, laisse-moi te dire, l'examinateur est scié. Notre pauvre racaillou à deux francs cinquante (ou aujourd'hui à
deux euros cinquante) a lu un Proust. Allons bon.
Le prof perturbé reprend ta liste de textes étudiés, cherche Proust et ne le voit pas !
- Mais vous l'avez lu pour le lycée ? (voix égarée, abasourdie)
- Euh non, je l'ai lu pour moi. Je l'ai trouvé dans les affaires de mon père/soeur/mère/frère, le titre m'a donné envie
de le lire et depuis ça a changé ma vie.
- Ah bon (total déstabilisé, le gus), mais comment ça ça a changé votre vie ?
- Je n'ai jamais rien lu d'aussi beau.Je ne suis pas forcément un grand
lecteur, mais ce livre m'a fait comprendre qu'il faut parfois s'arrêter, observer la vie, profiter des beaux jours, ressentir, écouter, savourer des petites
choses... Avant je prenais jamais le temps de rien, maintenant je vais dans un parc, parfois, je reste seul, je regarde, je sais que le temps va, si vite, qu'il passe, voilà, vous savez...je pense que ça sert à ça la littérature.
Là, tu t'arrêtes de parler, l'air presque désolé. La putain de phrase choc de conclusion.
Amis lecteurs, si vous ressortez ce petit paragraphe tel quel, vous avez au moins un 15/20 d'assuré.
L'examinateur répliquera probablement, les yeux en soucoupes :
- Ma foi, c'est très bien d'avoir lu Proust à votre âge.
-Oh non je n'ai lu que Du côté de chez Swann, il me reste encore les
autres tomes de la Recherche à lire.
Humble, je te dis. Toujours humble.
Mon examinateur avait répondu :
- Oui, enfin, avoir lu le premier tome, c'est déjà pas mal...
Dans mon cas, nous avions partagé une grande conversation surDu côté de
chez Swann. L'examinateur était franchement, sincèrement, profondément, enchanté de discuter du bouquin avec moi. Nous avions ensuite bifurqué sur d'autres
de mes lectures, nous plaisantions,j'avais établi un putain de rapport complice qui tue.
Car il faut te mettre à la place de ce prof. Depuis un jour ou deux, de huit heures à six heures du soir, il voit
défiler des espèces de gougnafiers boutonneux incapables d'aligner deux mots. Le prof est content de pouvoir enfin avoir une discussion intelligente avec un être civilisé. Alors oui, il
en partagera aussi avec les deux trois éternels fayots du lycée. Mais toi, tu as fait mieux. Toi, tu l'as surpris. Toi, tu es le pauvre racaillou qui s'est transformé en somptueux cygne
proustien. Et qu'est-ce que cela t'a coûté ? Une cravate et une édition poche de Proust.
Avec ça, si t'as pas une bonne note, c'est que t'as vraiment chié dans la colle et que tu mérites même pas de lire mon
blog, tiens.
Sans être un grand thuriféraire du Marquis de Sade, je te paye la séance ciné du week-end (et même que t'as pas besoin de
sortir de chez toi et que c'est gratos).
Cette nuit j’ai rêvé à Carla Bruni. Ouais je
sais, ça craint.
Depuis une semaine ou deux,
j’accumuleles rêves
politiques. J’en ai marre. Dimanche soir, je n’ai pas suivi la soirée
électorale, j’ai écouté de la musique au casque pendant qu’Aniki ne décollait pas de BFM TV. Je sature. Je m’interdis de lire les journaux ou de trop traîner sur les sites de
politique.
Malgré tout, cette nuit, j’ai rêvé à Carla
Bruni.
J’étais au travail, dans les bureaux, avec mon
patron et quelques collègues. Mon patron nous présentait Carla Bruni qui venait d’être embauchée. Nous les employés, nous étions plutôt surpris qu’elle tafe là. La boîte casse pas trois pattes à
un canard. Ce qui est chelou c’est : primo qu’elle bossait – deuzio qu’elle occupait un emploi de bureau absolument bateau.
Enfin, elle était là,
quoi.
L’ambiance étant informelle, mes collègues lui
posaient les questions que la plupart des gens lui poseraient, je pense. A savoir, comment était Sarkozy dans l’intimité, comment allait leur chiard. Des trucs comme ça.
Moi aussi, je posais une question. Simplement,
directement. Sans hostilité, juste avec curiosité. Je lui demandai :
- Dis, ça fait quoi d’être
bourge ?
Là, contrairement à ce qui se serait passé dans
la réalité, mes collègues et mon patron hochèrent la tête, ravis par la question, pas du tout embarrassés ni rien. Carla Bruni aussi le prenait bien. Sauf qu’elle n’avait pas tout
compris.
- Eh bien vous savez je suis née dans une
famille fortunée, mais j’ai fait mon propre chemin par la suite.
- Euh non, je voulais dire, pour vous les
bourges, être bourge, c’est normal ? Ou vous vous rendez compte, justement, que c’est pas normal ? Je ne parle pas de jugement de valeur, ni de jugement moral. Je
parle plutôt d’appartenance. Vous avez le sentiment de faire partie d’une vaste classe sociale, celle des bourges, une classe que vous pensez nombreuse ? Ou bien vous réalisez que vous
faites partie d’une minorité et que presque personne ne vit comme vous ? C’est toujours un truc qui m’a fait bloquer. Vous savez que vous êtes bourges ou pas, en gros ? Ou bien vous
trouvez ça normal, genre, ouais bon j’ai un peu plus de fric, mais y’a plein d’autres gugusses qui sont aussi dans mon cas ?
C’est vrai, je me pose souvent la question. Je
me la suis toujours posée.
Au collège, on commençait à évaluer les
différences de richesse. Et, dans notre microcosme prolétarien du bas peuple, les bourges c’étaient les élèves dont les deux parents étaient profs, ceux dont les parents touchaient 20 000 F par
mois… Quelle pathétique échelle de valeur, n’est-ce pas ? Dans ce paradigme de basse extraction, la question me tenaillait déjà : ça fait quoi d’être un bourge ? Nous étions durs
avec nos camarades « 20 000 F par mois ». On les traitait de « gros bourges ». Et moi, je les harcelais en leur demandant : « mais ça arrive à tes parents de te
dire, écoute on est des bourges chez nous, c’est comme ça, on est différents des autres ? Ou bien, vous vous en rendez pas compte, vous croyez que vous êtes normaux ?
».
Plus tard, j’ai rencontré des vrais bourges –
essentiellement par le biais de mon activité d’écrivain. Des gens dont les parents sont répertoriés dans le Who’s who. D’autres qui n’ont pas besoin de travailler, qui se consacrent à l’écriture,
vivant de rentes et d’héritages. Je n’ai jamais pu en discuter avec eux car ils ne s’assument pas comme « bourges ». Le sujet est tabou. L’édition est un univers de gauchistes. Si
d'aventure je leur demandais « ça fait quoi d’être bourge ? », je déclenchais des esclandres et n’obtenais certainement pas de réponse. Plus rarement, j’ai pu parler avec de vrais
bourges qui s’assumaient. Je n’ai pas posé la question, parce qu’ils m’avaient dit clairement, de leur propre initiative, qu’ils se savaient être chanceux. Néanmoins, ils n'étaient pas des
bourges du niveau de Carla Bruni, alors sa réponse m’intéressait foutrement, dans mon rêve.
Or, au moment où Carla Bruni s’apprêtait à
répondre, un interditépistémologiques’imposa, issu de mon inconscient de classe : je me réveillai. Mon inconscient est une sorte destalpsychorigide chiant. Il veille au grain. Ce salaud a décelé, dans ma question, dans ma curiosité, ma part d’envie, de nostalgie régressive pour le statut parasitaire bourgeois.
Nous avons tous une nostalgie régressive pour le statut parasitaire bourgeois - du moins, tous les gens qui ont été élevés dans une société de classes. Pourquoi ? Parce que le bébé du
capitalisme, quand bien même il s’agit d’un bébé de prolétaires, est converti dès ses premiers jours au paradis de la consommation totale : le bébé tète mais ne fait rien. Et je rappelle que
consommer sans produire, c’est l'essence même du projet bourgeois (même quej’explique tout bien
ici).
Oui, dans cette question adressée à Carla
Bruni, sourdaient la jalousie et la convoitise. C’est plus fort que moi. C’est culturel. Et mon inconscient de classe stal psychorigide est intervenu : réveille-toi, car tu ne dois pas
connaître la réponse, ton seul champ de connaissance doit être l’obéissance au projet de ta classe sociale, soit l’avènement d’une dictature du prolétariat.
Evidemment, camarade-lecteur, tu vas rétorquer
que je ne suis pas près d’assister à l’avènement d’une dictature du prolétariat et que mon inconscient stal fait un peu chier sa mère.
Selon les premiers sondages effectués, via le
fil RSS de The Guardian, le candidat que je soutiens se trouve en très mauvaise position (c'est-à-dire à quatre
pattes sans lubrifiant – non je déconne). Comme dirait François Villon : car quoy aucun de la faulx ne se loue, la fin en est telle qu'on s'en déloue.
Cher
camarade-lecteur, comme tu es assidu et que tu me voues une sorte de culte néo-marxo-léniniste, tu sais que j'ai choisi de soutenir publiquement, malgré tous les risques encourus, la candidature de Chat-Bite pour cette grande élection
présidentielle.
D'une, cette
nouvelle remet gravement en question l'impact de mes articles. Vous me lisez ou quoi, putain de bordel de merde ? Je dis de voter Chat-Bite, vous votez Chat-Bite, un point c'est tout !
Sinon c'est au goulag direct !
Je te préviens, au goulag, y'a que des gens super
chiants.
De deux, il
appert que vous n'avez pas pris connaissance du programme de Chat-Bite – sans quoi, il serait déjà à 28 % dans les estimations sortie des
urnes.
Me voici donc
obligé de rappeler les mesures phares de Chat-Bite.
Chat-Bite est
un politicien si subversif, si dérangeant, si perturbateur, si peu exposé à la compromission, qu'il lui est, pour l'instant, impossible de se montrer à visage
découvert.
Chat-Bite
instaurera, dès son élection, la loi révolutionnaire de « les lundis, c'est cuni ». En vertu de cette loi, tous les lundis, les
français(es) détenteurs d'un vagin seront en droit d'exiger un cuni de la part du ou des français(es) de leur choix. Des études scientifiques prestigieuses ont démontré l'influence positive du
cuni sur l'économie nationale. Ainsi, les employés ayant bénéficié d'un cuni la veille de leur journée de travail voient leur productivité augmenter de 5 % (ce qui n'est pas rien, vous en
conviendrez!). Quant aux personnes qui ont effectué un cuni la veille de leur journée de travail, elles auraient tendance à beaucoup moins aller aux toilettes (fréquentation des WC en baisse de
15 %) : ce fait reste une énigme pour la communauté scientifique, néanmoins, une personne qui va moins aux toilettes travaille davantage, nous sommes d'accord.
La question
du cuni a toujours été sous-estimée par les politiciens de droite comme de gauche. Quand on dit gâterie, à quoi pense-t-on ? A la fellation, pas au cuni. Preuve de la phallocratie
inacceptable de notre société.
La loi
« les lundis, c'est cuni » réparera cette grave injustice tout en améliorant notre économie.
Une autre
mesure importante de Chat-Bite sera de, dès le jour de son élection, hisser Stoni (donc moi, quoi) au ministère de la culture. En tant que ministre de la culture, je nationaliserai les
principales maisons d'édition et déporterai tous les éditeurs au goulag, hum enfin pardon, je les transférerai dans des fermes de rééducation sises près d'Aurillac.
Chaque pays a
sa Sibérie.
Evidemment,
Chat-Bite propose l'instauration immédiate du socialisme « réellement existant ». Mais avons-nous besoin de le préciser ??
Si Chat-Bite
est élu, une immense partie de chat-bite sera organisée le 18 octobre 2012 sur la place de la Bastille. Pourquoi le 18 octobre 2012 ? Ben, en fait, avec Chat-Bite on regardait le calendrier
et on s'est dit qu'il y avait rien de prévu, ce jour-là. C'est vrai, les 18 octobre, y'a jamais rien à faire. Alors on s'est dit, une partie géante de chat-bite, ça ferait sortir les gens de chez
eux, quoi.
En outre, en cas de victoire, Chat-Bite et moi nous vous montrons nos bites en direct au journal télévisé. Je puis vous assurer qu'il s'agit de magnifiques
spécimens et, du gland jusqu'au scrotum, vous pourrez les admirer sans aucune censure.
Avec toutes
ces mesures plus alléchantes les unes que les autres, je ne vois vraiment pas pourquoi Chat-Bite ne passerait pas au deuxième tour.
L'humanité est capricieuse. Dans ses moments de grande inspiration, elle fut capable d'engendrer Villon, Le Caravage,
Shakespeare, Brecht, voire même George Lucas. Et puis, elle engendra également Sexion d'Assaut.
Pour les chanceux qui ne connaissent point, Sexion d'Assaut est une sorte de groupe de rap. La plupart des membres ont
mon âge, peu ou prou (ouais des fois j'ai du mal à le croire, mais bon). En tout, ils sont dix ou quinze, on ne sait jamais trop. Il existe néanmoins des membres plus importants que les autres,
qui répondent aux doux noms de : Pétrodollars (?), Black Mesrimes (oh
le jeu de mot qui tue trop sa race), etc. Oui, je sais, quand on porte le blaze de Stoni, on ferme sa gueule. Néanmoins, je juge Stoni beaucoup moins ridicule que « Pétrodollars ». Le
pur blaze, sans déconner. Imagine le prof qui fait l'appel, en début d'année. « Dupont Sébastien ? Nguyen Vincent ? Benali Mouloud ? Euh.... Durand
Pétrodollar ???? ».
Evidemment, la première chose qui interpelle lorsque, par malchance, on découvre Sexion d'Assaut, ce n'est point les
blazes de ses membres, mais le blaze du groupe en lui-même. Section d'Assaut. Les mauvaises langues ne tarderont pas à s'activer,
surtout quand on connait la position du groupe sur la sexualité humaine. Mais, perfides
commères ! Affirmer que Sexion d'Assaut s'est inspiré des S.A. tient de la calomnie : chacun sait très bien que ces pauvres garçons n'ont pas le niveau de culture générale requis pour
opérer une telle référence (surtout Pétrodollars).
Nous touchons là au problème crucial de Sexion d'Assaut. Ces mêmes parleurs hostiles accuseront le groupe, sur la base
de ses chansons, d'avoir un âge mental situé à peu près à huit ans.
Là, je dois dire : c'est vrai. Sexion d'Assaut culmine à huit ans d'âge mental. Et encore, huit ans, je suis pas
sûr. Certains l'évaluent plutôt à sept. L'âge de raison. Ouais. Pas sûr non plus.
Or, il n'y a pas de quoi ricaner. Au contraire. Un véritable scandale se cache là-dessous.
Oui ! J'ose le clamer à la terre entière !
Si les chansons de Sexion d'Assaut dénoncent un âge mental estimé à huit ans, c'est parce que ces chansons sont
écrites par des gamins de huit ans !
J'ai des preuves à l'appui !
Depuis des années, Sexion d'Assaut (sous l'impulsion principale dudit Pétrodollars, à coup sûr) pille les textes d'une
classe de CE2 écrits en atelier poésie. Et ces pauvres enfants ne touchent pas un centime des droits d'auteurs récoltés par Sexion d'Assaut. Une honte.
Tu ne me crois pas, ami lecteur ? Examinons plutôt le texte de leur dernier tube, Avant qu'elle parte, et tâchons de partir du principe qu'il a été écrit par des
adultes.
Chaque « strophe » est précédée du nom du membre qui la
« chante ». Vous remarquerez que Pétrodollars ne chante pas. Trop occupé à espionner les classes de CE2. Salaud.
pour les masos, y'a même la vidéo
AVANT QU'ELLE PARTE
Insensé, insensible, tu l'aimes mais pourtant tu la fuis
Insensé, insensible, tu l'aimes mais pourtant tu la fuis
Diantre, mais qui est cette mystérieuse femme à qui s'adresse la chanson ?
Doomam's Pardonne-moi pour tes insomnies à répétition Pardonne-moi pour le files d'attentes, tes clashs à l'inspection Pardonne-moi pour les garde-à-vue, les perquisitions Pardonne-moi d'être parti si tôt d'être devenu musicien
Ça, vu la musique que tu fais mon pote, pas certain qu'elle te le pardonnera.
Toutes les fois où j'ai oublié de répondre à tes messages
Toutes les fois où je devais venir te voir entre deux-trois dates
Toutes les fois où j'ai dû te mentir pour éviter que tu me frappes
Oulah. Le pauvre.
Toutes ces fois, je n'ai jamais douté de ta bonne fois
Maska
Ta mère est une fleure rare que t'abreuves par ton amour
L'en priver c'est la tuer donc n'abrège pas son compte à rebours
Aaah ! Mais c'est à leur maman que ces garçons s'adressent.
Dis-lui que tu l'aimes que tu regrettes ta manière d'être conflictuel Elle a du mal à s'évader car tes grands frères ont pris du ferme
Wo putain. La figure de style. Elle a du mal à s'évader car tes grands frères sont en prison.
Pffffiu.
Est-ce mes rides qui m'empêche de lui sourire Je veux pas rester en vie jusqu'à la voir mourir Tes larmes piquaient mes plaies, j'aimerais te contenter À jamais je maudis ce jour où on t'enterre
Oh. La maman est morte, en fait. Merde. C'est con ce qui lui arrive.
[Refrain] (x2) Et même quand tout le monde est contre toi Elle reste ta meilleure amie
Bon, là, je dois le dire à tous les mineurs, enfants et pré-adolescents influençables qui me lisent : non, ta maman
n'est pas ta meilleure amie. Ne raconte pas à ta maman tes histoires de cul ou tes problèmes avec la masturbation. Ne raconte pas à ta maman ton coup foiré de la veille. Faut pas tout mélanger,
putain. Les potes, c'est les potes. Les vieux, c'est les vieux.
T'aimerais lui dire ce qu'elle représente pour toi
Avant qu'elle ne perde la vie
Dans son enfance, tout individu réalise un jour ou l'autre que ses parents sont mortels, ce qui lui procure une première
grande frayeur vis-à-vis de la mort. Sexion d'Assaut est resté bloqué à ce stade pré-post-anal, visiblement.
Mais tu n'oses pas, tu n'oses pas, tu n'oses pas lui dire Mais tu n'oses pas, tu n'oses pas, tu n'oses pas lui dire
Non j'ose pas lui dire, parce que si je vais voir ma daronne et que je lui dis : « Hé maman tu sais que tu vas
clamser un jour ? », elle me retourne une sacrée paire de claques, moi je vous le dis.
Black Mesrimes Je suis sûr qu'elle aimerait juste entendre un maman je t'aime À la place des cris du daron qui menace de te jeter
Oui ben il nous fait chier le daron, il a qu'à fermer sa gueule ce con.
Je suis sûr qu'elle craque au bout d'une semaine passée sans toi Et que ton absence lui ferait plus mal qu'une chute du haut de son toit
Euh... A mon avis, une chute du haut de son toit (sauf maison plain-pied), la maman elle y survit pas. Enfin, bon, moi je
dis ça comme ça. J'ai jamais essayé de me jeter du cinquième étage à la fois.
Je suis sûr qu'elle aimerait que tu la prennes dans tes bras
Exactement comme elle le faisait durant tes douze premiers mois
Putain, mais quelle guimauve, sans déconner.
Je suis sûr que l'amour t'as rendu myope Au lieu de le porter à ta mère tu le portes à une idiote
Ben c'est sympa pour les nanas, ça. Toutes des putes sauf ma mère, quoi. Subversif.
Lefa & Barack Adama
Des heures au phone avec ta meuf afin de mieux vous rapprocher
Oui alors le « phone », c'est le téléphone portable. Bien que ce soit moche, c'est plus court et c'est pratique
pour (mal) respecter le rythme du « flow ».
Quand ta mère t'appelle tu veux vite raccrocher Devant tes potes tu lui tiens tête tu veux lui donner des leçons
Ah bon ? Moi j'ai jamais voulu donner de leçons à ma mère. Avec mes potes, on s'en foutait pas mal de nos mères, en
fait. Je me vois trop mal, à quinze ans, ramener six potes à la maison, chercher ma mère dans l'appart et l'agresser gratuitement : « oh maman je te tiens tête ! Regarde maman je
te tiens tête ! Oh maman ! Oh ! ». D'une, mes potes auraient trouvé ça ennuyeux au possible et se seraient vite cassé. De deux, mon père m'aurait démonté le soir en rentrant
du taf.
Mais t'oublies que cette tête elle l'a tenue quand quand elle te donner le sein
Rrrho c'est mignon. Sauf que c'est fini l'époque où les femmes donnaient systématiquement le sein. Maintenant, la femme a
le choix. Y'a des laits artificiels et tout. Sexion d'Assaut, question meuf, ils s'y connaissent peut-être pas trop. Je sais pas.
Crois-moi sur parole on peut remplacer des poumons mais surement pas une daronne
Ah bon ? On peut remplacer des poumons ? Par quel miracle ?
T'as habité en elle, t'as habité sous son toit C'est la seule personne qui prie pour quitter ce monde avant toi Au commissariat pour elle, t'étais jamais coupable Mais pour moi tu l'es car t'es bronzé alors qu'elle est toute pâle À par elle personne supporte ton égoïsme permanent T'es pas le nombril du monde mais t'es celui de ta maman
Si on enlève le passage ridicule du commissariat, ces « vers » démontrent à eux seuls la thèse de l'atelier
d'écriture de CE2 spolié. Sérieux.
[Refrain]
Maître Gim's
Je ne suis jamais parti
Je n'ai jamais changé
Si ce n'est ma voix et ma taille
Oh putain, il est marrant lui. Si ce n'est ma voix et ma taille. J'espère que, niveau taille, tout a bien suivi.
Oh Maman
C'est moi
Je veux que tu valides ma fiancée
Papa, maman, vous pouvez valider ma fiancée s'il vous plaît ? Ouais, je sais, je suis un
grand poète. Normal.
Réconforte-moi comme quand je tombais
Maman où t'es passé oh
Regarde-moi
JR O'Crome
Simplement te serrer dans mes bras
Te serrer très fort te dire je t'aime une dernière fois
Repose en paix
C'est triste !
Pour nous t'as donné corps et âme Si j'ai plus d'encre tant pis je continuerai avec mes larmes Aujourd'hui Maman n'est plus là Je suis tombé de haut mais je pourrai pas tomber plus bas
C'est le moins qu'on puisse dire, en effet.
Poto fais pas l'enfant de la DASS Si t'en a une fais lui plaisir dis-lui que tu l'aimes avant qu'elle parte
Putain mais il veut vraiment que tous les gamins se fassent baffer, ce mec. « MAMAN, COMME TU VAS MOURIR UN JOUR
PEUT-ETRE MEME BIENTOT VU TOUTES LES CLOPES QUE TU FUMES, JE VOULAIS TE DIRE QUE JE T'AIME !!!! AAAÏE !!! POURQUOI TU M'AS GIFLE MAMAN ? »
À tous ceux qui ont encore une mère
Même si la mort n'arrête pas l'amour
Dites-leur que vous les aimez
Avant qu'elles partent
Putain c'est beau, quand même.
Au terme de cette rigoureuse analyse, ami lecteur, la vérité s'offre à tes yeux
sidérés : non, des adultes ne peuvent pas avoir commis cette chose infâme. Non, le rap français ne peut pas être tombé dans de telles pleurnicheries servies à grands coups de
« maman » larmoyants. (Bah, au moins, y'en a un qui aurait aimé, c'est Pétain. Entre la repentance, la morale, la misogynie et le culte de la mère, il aurait été pile poil dans son
bain, le maréchal.) Non, ce serait trop facile de décréter froidement que Sexion d'Assaut, c'est juste de la grosse merde.
Je suggère donc de saisir les tribunaux, afin que les innocents petits écoliers qui
ont signé les chansons de Sexion d'Assaut soient indemnisés. La vérité doit être faite. Justice doit être rendue.
Je retournais au lycée, mais, comme d’habitude dans ce genre de rêve, j’avais
mon âge actuel.
Je fais souvent le cauchemar du lycée. A croire que l’école m’a traumatisé –
j’en suis sorti le plus vite possible. Par miracle, j’ai même passé un bac. Jamais je ne me suis autant ennuyé qu’en cours. Jamais je n’ai aussi mal dormi que durant ma scolarité. Toute mon
adolescence, j’ai carburé avec des nuits de trois à six heures de sommeil. Aujourd’hui, je m’interroge sincèrement sur mes capacités physiques de l’époque – mes parents me dopaient-ils en secret
ou quoi ?
Dans ces cauchemars, l’ambiance hostile du lycée est restituée avec une
exactitude tout bonnement sadique. Les couloirs qui puent le vieux lino défraîchi. Les salles de classe peintes en pastel délavé. Les bureaux, les chaises, les trente élèves devant moi – j’étais
toujours au fond. Le prof. J’ai eu d’excellents profs lorsque
je suis arrivé en bac techno. Hélas, ce ne sont jamais eux qui hantent mon sommeil. Mais des profs gris, rébarbatifs, agressifs – voire carrément névrosés pour certains… Donc, la salle de classe,
le prof, et moi, au fond, avec mes potes.
Voilà bien le seul élément du cauchemar que j’apprécie : mes potes. Je
n’ai jamais retrouvé la solidarité clandestine, irréfragable, exclusive, qui nous liait lorsque j’étais au lycée. Nous étions seuls contre le reste du monde (c’est-à-dire l’Education Nationale).
Ce jeune mec boutonneux, mal fringué, un peu con mais sympa, avec qui tu rigoles lors des abîmes du cours de français en classe de première, bref, ton poteau : en plus d’être ton reflet
absolu (car toi aussi tu étais boutonneux, mal fringué, un peu con mais sympa à cet âge-là), ce mec-là, jamais tu ne dénicheras son équivalent dans le monde du travail. Ce mec que tu aimes, au
fond, ce mec qui se marre quand tu pètes et qui imite super bien le bruit de la Porsche (si possible en plein de cours de droit) : profite s’en à fond. Tes compagnons de la vie adulte
s’avèreront beaucoup moins divertissants.
Fi de digressions.
Je disais donc que j’ai fait un cauchemar où je retournais au
lycée.
C’est là que j’ai réalisé que Mélenchon avait grave une tronche de prof de
français.
La classe n’était pas encore entrée en cours. Nous formions un troupeau avachi
dans le couloir, devant la porte de la salle. J’étais avec un de mes meilleurs potes. Nous attendions le prof, qui finalement arriva. Mélenchon en prof de français, quoi. Là, Mélenchon s’arrête
devant mon meilleur pote et lui offre une grande poignée de mains. Je les regarde faire, effaré. Puis Mélenchon s’éloigne pour nous ouvrir la porte. Je me tourne vers mon
pote :
- Toi aussi ? Non pas toi ? NON PAS TOI QUAND
MEME ?
Eh oui, car j’avais déduit de cette franche poignée de mains que mon meilleur
pote s’était mis à militer pour le Front de Gauche. Chose d’autant plus étonnante – et cul-trouante – que mon meilleur pote n’est pas du tout politisé.
- AH NON MAIS PAS TOI ! TU VAS PAS T'Y METTRE AUSSI ?
- Mais nan, t'inquiète. C’est juste que mes parents ont pris rendez-vous avec
lui, ils l’ont trop tué sur ses méthodes éducatives et là il essaie de se rattraper.
- Ah ! fis-je, rassuré.
Nous entrâmes en classe.
Mélenchon entamait en discourant jusqu’à plus soif sur Victor Hugo. Je
discutais avec mes potes au fond de la salle. Évidemment, j’eus droit au classique :
- Je peux savoir ce que vous avez de si intéressant à raconter, Stoni ?
Votre petite vie personnelle ? Et si toute la classe en profitait ?
- Non mais monsieur, en fait, c’est juste que je le trouve chiant votre cours.
Sauf votre respect, hein.
- Mais comment osez-vous !
- Mais Victor Hugo il nous fait chier, quoi ! Faut le dire : IL NOUS
FAIT GRAVE CHIER !!!
Là, nous nous lancions dans une interminable dispute à propos de Victor Hugo.
Je soutenais que Quatrevingt-treize justifiait amplement, à lui seul, une
déportation au goulag. Mélenchon prétendait le contraire.
Des scènes telles que celles-ci, j’en ai vécu des dizaines, et des dizaines,
et des dizaines. Durant ma scolarité, j’incarnais l’archétype du petit con insolent. Du coup, je répondais à tout va aux profs, instaurais de grands débats stériles, et, en bon manipulateur,
parvenais sans difficulté à entraîner l’enseignant dans mon délire. Mes camarades m’encourageaient grandement à susciter de telles coupures dans le cours – qui pouvaient bien atteindre quinze ou
vingt minutes les jours où j’étais en forme – puisque, on s’en doute, le plus grand bordel régnait tandis que je faisais diversion.
Dans le rêve, le débat était pénible, vain, harassant, énervant.
Non, il ne s'agit pas d'un grossier
photomontage
Et puis je me suis réveillé.
Avec l’impression de ne pas avoir dormi, ou presque.
La nuit suivante, j’ai fait un autre rêve politique.
J’étais dans un café avec Philippe Poutou. Il était aussi sympa qu’à la télévision. J’apprécie chez lui son côté « rien à en foutre bordel » au sujet des
médias, car je suis moi-même assez « rien à en branler putain » au sujet de la littérature. On rigolait et tout. Philippe Poutou me proposa de rejoindre le NPA. Je renâclai. Il
argumenta.
- Mais tu veux pas rester au Parti communiste, franchement, c’est la honte mon
gars.
Le pire, c’est que j’y ai pensé, ces derniers jours… Un fantasme, une
fantaisie, rien de bien sérieux, mais j’y ai pensé…
- Stoni, faut pas déconner, viens au NPA quoi.
- Ouais, mais, euh…
Je n’osai pas le dire. Le gars est trotskyste. Et moi, ma vraie patrie, c’est l’URSS. Imaginez un peu le truc, je veux dire. Le mec qui, dans une
réunion politique du NPA, s’emporte un peu, fait de l’humour communiste (« allez, au goulag
direct ! »), et puis balance qu’il irait bien reconstruire le Mur de Berlin un de ces quatre.
Oh ça craint ma parole. Ils vont me taper, au NPA.
Néanmoins, je me suis réveillé dans de meilleures dispositions que la
veille.
Bon, ce rêve-là n'était pas désagréable, mais j’aimerais rêver à autre chose
qu’aux présidentielles.
Tu vois le truc ? Toutes les nuits je rêve d’un candidat ? Putain,
il reste neuf jours jusqu’au premier tour, avec ça j’ai le temps de me les faire tous !
Article rédigé en 2009. Je vous le ressers non sans vergogne.
Un soir de la semaine, dans le tramway. Je reviens de chez un ami, ou d’une réunion politique. Je ne sais plus.
Dans la tramway, les néons se sont éclairés. Il fait nuit. Les gens fatigués dodelinent de la tête. Deux adolescents m’intéressent. Ils ont
l’œil hébété, sans s’échanger un regard lorsqu’ils parlent tout bas. On dirait qu’ils viennent d’être frappés de stupeur par quelque chose de la vie – quelque chose qui fait mal. Comme tous les
beaux enfants, ils sont maladroits. Leurs bras qui ont poussé plus vite que le reste, longs et malingres, reposent sur leurs genoux osseux.
Je tâche d’écouter leurs mots marmonnés. Et une horde de jeunes – ceux-là plus vieux, dix-huit à vingt ans – déboule dans la rame.
La horde de jeunes est une classe, en vérité. Il y a le professeur, autour duquel se concentre une grappe volubile. Tous sortent d’un
spectacle.
C’est une classe d’art. J’ai eu un ami qui avait fait les arts appliqués. Ça y ressemble beaucoup, toutes ces filles en pantalons
bouffants, et tous ces garçons à casquettes gavroche.
Ils ont l’air sérieux, pour des artistes. Leurs appréciations sur le spectacle qu’ils viennent de voir sont sentencieuses, et débordent
d’admiration. Je me dis qu’ils sont bien jeunes, pour déjà prêter allégeance.
Ils trimballent leurs carnets à dessin, les cahiers zap book au design défiant
toute concurrence. Un couple hétérosexuel s’adonne à une salade de langues qui choque le vieux de vingt-cinq ans que je suis. Il faut dire que leur professeur est assise pile à côté, et je trouve
ça assez contre-nature. Allez savoir, ma morale et moi… qu’on aille donc se faire foutre.
Et parmi ces élèves, je repère le phénomène socioculturel propre à toute classe d’art : le mec avec son carton à dessin.
J’en ai connu, et vu, des dizaines pareilles que lui. Ça remonte à dix ans. Les choses n’ont pas changé. Ça effraie, mais ça rassure
aussi.
Le mec avec son carton à dessin dispose d’une cour. L’amour courtois a été inventé au 12ième siècle : le mec avec son carton à
dessin perpétue donc une tradition quasi-millénaire. La cour est composée de sept filles. Le seigneur et sa cour ont investi deux lots de banquettes qui se font face. La topographie de la cour
dénonce la hiérarchie imposée (tacitement) par le mec avec son carton à dessin.
Sur son lot de banquettes, les filles qui sont réputées les plus jolies. En vérité, les plus disposées au compromis idéologique. Sur le deuxième
lot de banquettes, de l’autre côté du passage, les filles qui sont réputées moins jolies. En vérité, les plus farouches, celles qui ont les yeux fuyants, intelligents, la petite mine des humbles
et des pauvres. Leurs parents gagnaient moins d’argent, elles ne sont pas douées en compromis idéologique.
Qu’importe. Le mec avec son carton à dessin sait se montrer magnanime.
Il n’est pas spécialement beau, mais toutes en bavent pour lui. Il baratine d’une voix claire, épurée de toute accentuation. Il ne jure pas et
articule bien. Il évite le verlan. Ça fait beauf.
Le mec avec son carton à dessin est, comme on le devine, muni de son accessoire identitaire.
Le carton à dessin est installé sur ses genoux. Il l’utilise, comme support.
Il crayonne le portrait d’une de ses favorites. Elle se prête au rôle de modèle avec une grande application.
- Ne bouge pas, ordonne-t-il d’une voix douce.
Elle glousse mais obéit.
Toutes scrutent le devenir du portrait. Sauf le modèle, qui attend, sage et docile.
Pourquoi ne le dessinent-elles pas, elles ?
On ne dessine pas le mec avec son carton à dessin. Pas quand on est une fille (ni quand on est un cave sans talent).
Le mec avec son carton à dessin tire les ficelles. C’est lui qui crée. Les filles sont ses muses. (Si vous saviez comme je déteste ce
concept : la muse.)
Le mec avec son carton à dessin détient le pouvoir. Les filles sont ornementales – preuve en est qu’elles sont muses, sources d’inspiration
passives – et servent avant tout à asseoir sa domination.
Les pauvresses du deuxième lot de banquettes me font pitié. Elles convoitent le pouvoir d’esquisser le portrait, ou bien le fait d’être le
modèle. J’en entends une petite au visage de fouine susurrer :
- Qu’est-ce qu’il dessine bien, Hugo.
Hugo, ça c’est un prénom de mec avec son carton à dessin. Prédestiné, le gonze.
Je voudrais me pencher vers toi, petite au visage de fouine, et te dire à quel point ton Hugo ne mérite pas ton murmure. Ne prête pas
allégeance. Pas à lui. Je t’en supplie.
Le mec avec son carton à dessin se concentre, mais affecte la désinvolture. S’appliquer, c’est bourgeois, vous comprenez. Ou trop ouvriériste.
Il faut bien s’appliquer, quand on bosse pour décrocher un salaire. Alors lui !
Il fait mine de se prêter à ce petit jeu d’art sans trop y croire. Comme ça. Un tour de magie pour amuser les filles. Dire qu’elles doivent se
croire libérées.
- Oh quelle tête il me fait ? s’interroge le modèle.
Elle triomphe, le mec avec son carton à dessin l’a élue elle.
- C’est magnifique, assurent ses copines.
J’attends celle qui dira :
- Putain, la tronche qu’il t’a flanquée ma pauvre !
Ce serait marrant.
J’attends en vain.
- C’est juste une esquisse, tempère le mec avec son carton à dessin (grand seigneur).
Même parmi les pauvresses, aucune n’a la frimousse amusée par la pauvreté de cette scène. Je guette celle qui dénoncerait :
- Si après ce numéro il arrive pas à te baiser, ma parole, il se sera vraiment cassé le cul pour rien !
Car tel est toujours l’objectif inavoué du mec avec son carton à dessin. La domination de classe. Domination sur la femme, domination sur le
puceau à lunettes du fond de la classe, voilà, les choses fonctionnent ainsi. N’oubliez jamais que l’amour, c’est la logique objective des rapports de classe entre les sexes.
Il faudrait une audacieuse qui lui volerait le carton à dessin et proclamerait :
Rappelle-toi, ô cher camarade lecteur ! Il y a plus de deux ans, je révélai à la face d'un monde consterné
la définition du « jean slim » (même qu'il y a dans cet
article une bande dessinée trop bien que j'ai faite tout seul avec mes petites mimines).
En bon stal pyschorigide, j'expliquais dans ce billet que le port du jean slim – pour le moins inconfortable –
symbolisait toute la puissance du matraque idéologique libéral sur les jeunes esprits impressionnables (tels que le mien). Mais voilà, le jean slim, ça fait rock-trop-rebelle (vanité 1) et pis si
t'es pas trop mal foutu, tout le monde sera au courant (vanité 2).
Mais que découvris-je tout récemment ?
Les gugusses de la fin du moyen-âge (occidental) portaient l'équivalent du jean slim : les
braies ! Eux aussi cédaient au matraque idéologique ! De quoi se rassurer.
Dès 1430, une mode vestimentaire impose le port des braies, sorte de caleçon de tissu hyper moulant, jusque chez les
paysans. La longue robe que portaient les hommes disparaît au profit d'une tunique courte qui dévoile les fesses et la braguette. L'Eglise s'en effraya (ben ouais, ça te moulait le cul et le zob,
genre).
Le chroniqueur de Saint-Denis témoigna :
« Nous devons croire que Dieu a souffert […] de la déshonnêteté des habits qui courent par le royaume […]. Les
uns portent des robes si courtes qu'elles ne leur couvrent qu'à peine les fesses. Quand ils se baissent, ils montrent leurs braies à qui veut les voir... d'ailleurs ces braies sont si étroites
qu'il faut de l'aide pour les mettre et pour les ôter : une opération qui ressemble au dépouillement d'un lapin... »
Le mec qui vendait les braies,
c'est trop l'ancêtre de H&M en fait
Le truc de malade ! Au moyen-âge aussi, les types étaient là à beugler : « putain... laisse-toi
faire... alleeeez... rrhaaaa... mais quoi euh.... tu vas m'obéir oui ? Aaaah... mais non je suis pas si gros que ça, mais non.... ah ça y est, putain de ta mère ! »,
lorsqu'ils enfilaient leurs braies ! ( Car, oui, quand tu enfiles un jean slim, d'un point de vue uniquement sonore, on dirait un peu que t'essaies de violer un mouton)
:
Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.