La plombe numéro un : le cocoïsme
Les fidèles de l’ancien blog de Stoni s’en souviendront : fin 2008, je rejoignais le troisième plus grand parti de France (en terme d’adhérents).
Mais que les nouveaux lecteurs se rassurent : je vais tout récapituler.
Pseudo marxiste autodidacte, humble travailleur du privé, je décidai, à 24 ans, d’objectiver ma pensée politique en rejoignant « le » Parti.
Objectiver, c’est concrétiser un concept subjectif. Ce qui est subjectif tient du Sujet, et le Sujet est en général une personne.
J’objectivais ainsi la chose dans le réel, via l’organisation d’un groupe et surtout par l’action. L’objet est ce qui n’est pas sujet… Objectiver le marxisme, pour moi, c’était se frotter à la politique, aux institutions, distribuer des tracts aux badauds et j’en passe.
En m’encartant, j’intersubjectivais aussi, car je me préparais à me confronter à d’autres subjectivités, d’autres êtres pensants, qui partageraient (ou étaient censés partager) mes convictions et mon espoir dans le socialisme.
Inter – subjectif : relation de sujet à sujet. Voire de sujets à sujets, au pluriel.
Bref, je voulais sortir de ma petite subjectivité marxisante.
Résultat : un an et des cacahuètes plus tard, je suis lessivé.
J’espère toutefois qu’il s’agit d’une phase… vous voyez, j’ai ce grand défaut d’espérer.
Au bout de quelques mois de militantisme assez forcené, je réalisai vite que j’étais un extra-terrestre, au sein du Parti (ou du moins ma section, la section représentant souvent une ville).
Formé tout seul à la maison, d’origine roturière, allez disons-le, de famille pauvre, n’ayant pas fait d’études (surtout pas !) et ne briguant pas un poste de fonctionnaire, eh bien, ma foi, je me retrouvai tout seul confronté à des militants qui étaient l’exact contraire.
Thèse, anti-thèse, positif, négatif, on tourne en rond…
Alors je pris sur moi, et ménageai ma conscience personnelle. Je convoitai la synthèse. Je fus patient, me tuai à l’ouverture d’esprit et ne jugeai point. J’écoutai. Beaucoup. Parlai bien peu. Qu’avais-je à dire ? Il y aurait eu tant à dire… Je n’avais pas le temps, et pas le moindre camarade ne se serait penché sur un mémoire singulier de 300 pages – que je n’avais pas envie d’écrire, par ailleurs.
J’essaie d’être écrivain, entretiens mon côté artiste : je ne suis définitivement pas le genre de mec apte à faire de la politique.
J’étais venu pour militer. Pour la lutte des classes. Pour fomenter une révolution. J’étais le premier à me ruer sur les marchés, histoire d’y distribuer des tracts aux citadins récalcitrants. Là, on s’en prenait plein la gueule, vous pouvez me croire ! Mais je continuai quand même.
Je suis d’un naturel opiniâtre.
Le problème ne vint pas tant des badauds – je sais à quel point l’anticommunisme est florissant, et malgré tout, tombai parfois sur des gens très sympas.
Le problème vint que je ne voulais pas faire de politique au sens propre, chose que ne comprennent point les camarades.
Me voyant à la pointe de l’arpentage de marchés dominicaux, les responsables entreprirent de me draguer. Bref, on me proposa des places dans les instances locales du Parti. Chose pour laquelle je n’avais ni le temps (à l’époque, je travaillais le soir), ni la mentalité (la diplomatie et moi, ça fait deux).
J’expliquai gentiment les raisons de mon refus.
L’explication ne fut pas écoutée.
Les responsables réitérèrent leurs alléchantes invitations. Je refusai encore. On s’énerva, me taxant d’être buté. Je répétai mon argumentation.
La quinzième fois, j’en eus un peu marre. Surtout quand je découvris que la fabuleuse place m’était offerte par défaut, et pour faire jeune. Puisque je n’ouvrais pas souvent ma gueule, les camarades savaient bien peu de choses sur moi, et je ne tardai pas à faire une seconde découverte : ils pensaient que j’étais à peu près débile (j’ai dit plus haut ne pas avoir fait d’études) et que j’alignerais ma conduite politique sur celles des gradés.
A ce stade, la lutte des classes objectivée dans un parti politique commençait de me chauffer.
Je coupai les ponts et cessai de militer.
D’autres camarades, avec qui je m’entendais mieux, vinrent me récupérer. Ils surent me convaincre de revenir.
Je me souviens avoir eu cette parole, dans un bar en plein hiver :
- Mais je vais revenir, et vous allez vouloir que je fasse de la politique. Encore. Et moi, je vais vous décevoir, parce que je vais refuser. Je vois le truc à dix kilomètres.
Mon interlocuteur me répondit :
- Faudra bien te mouiller un jour pourtant !
- Mais puisque je te dis que je ne sais pas faire ça ! C’est pas mon rayon. J’ai pas l’esprit fait pour la politique. Moi je veux bien militer, aller sur les marchés, faire du porte à porte par exemple, mais m’impliquer dans des affaires de gestion locale, hors de question !
- Et comment tu feras, quand tu seras un grand écrivain mondialement connu et que tu devras répondre à des interviews, et faire des apparitions publiques ?
- Mais bordel j’en suis incapable ! Tu crois quoi ? Dès que je dois rencontrer mon potentiel éditeur, j’ai envie de dégueuler pendant trois jours ! Tout ce que je veux, c’est être tranquille dans mon petit coin, à écrire !
Mais le militantisme me manquait, et je revins.
Et les choses ont recommencé, à l’identique.
Bien que je détienne un providentiel et merveilleux CDI, je préfère que mon nom ne soit pas publiquement lié à mon parti. A mon humble avis, mes employeurs n’apprécieraient pas.
Je refusai donc de signer une déclaration politique, qui devait être postée sur Internet. Ce à quoi l’on me rétorqua :
- C’est une attitude bourgeoise.
Quand je pense à l’argent, au temps, à l’amour, à l’espoir, à la patience et aux efforts que j’ai fournis, je réponds :
- Merci bien.
Certes, j’ai plutôt envie de vociférer :
- Je t’emmerde !
Mais je ne veux pas le faire. La colère ne m’intéresse pas.
Ce texte aura l’air du réquisitoire d’un communiste aigri par sa courte expérience. Ce n’est pourtant pas ce que je veux signifier.
Je ne garde même pas de rancune envers les camarades – tous, quels qu’ils soient, gradés ou pas. J’ai écrit une lettre à un ami fort de quarante ans d’adhésion au même parti, où je résumai la situation. Je lui ai dit :
- Je ne sais pas, je ne sais plus rien… J’étais heureux de militer et de donner un peu de mien à une force qui me dépassait. Mais ils ne veulent pas que tu restes simple militant de base. Non, il faut à tout prix que tu sois institutionnalisé. Responsabilité dans la section, ton nom sur une étiquette, ta signature sur un communiqué… Alors, que faire ? C’est tellement incompatible. Ma démarche, ma pensée, mon histoire et les leurs. Il ne s’agit pas d’un choc des cultures. Mais d’un choc des conceptions, peut-être. Je suis déçu, en fait. Ça sert à rien. Tout ça ne sert à rien.
J’attends sa réponse.