Il y a quelques semaines, je t'enseignais, ami lecteur, tous les secrets du tirage d'un roman, de la rémunération perçue par l'auteur, ainsi que le baromètre Stoni des ventes de premier roman.
Je concluais cet article en précisant qu'il est difficile pour l'auteur de connaître le chiffre exact de ses ventes, et parfois cela est impossible.
Et là, je dois te parler du distributeur / diffuseur.
Le distributeur, qu'est-ce que c'est ?
Quand un éditeur te fait signer un contrat d'édition, s'en suit un long travail de préparation éditoriale qui aboutira (si tout se passe bien) à l'impression du roman.
Ok. Mais après, ton roman, il faut le stocker et le refourguer dans les librairies. Et c'est là qu'intervient le distributeur.
Les choses se passent à peu près comme ça.
Tu signes ton Bon A Tirer (aka « B.A.T. » dans le milieu), la version définitive de ton roman tel qu'il sera imprimé. Normalement, plus personne n'a le droit d'y retoucher, désormais. Et si toi, l'auteur, tu veux changer des trucs, t'es censé payer une petite somme fixe par correction apportée.
C'est normal. Cette dernière clause, prévue dans le contrat d'édition, protège l'éditeur de l'auteur chiant et tatillon qui veut changer plein de trucs en dernière minute. Le problème, c'est que ça peut retarder l'impression, et ça fout le bordel.
Bref, tu donnes ton BAT signé à ton éditeur. Dans la moitié des cas, celui-ci n'en a rien à branler de ta signature, étant donné qu'il a déjà apporté ses propres modifications de dernière minute sans t'en parler (genre un point d'exclamation à la place d'un point d'interrogation, ou une phrase qui a mystérieusement disparu, etc.). Eh oui, c'est comme ça.
L'éditeur transmet le BAT à son imprimeur. Celui-ci imprime le roman selon le tirage convenu.
Après quoi, l'imprimeur se retrouve avec deux mille exemplaires du roman.
Il ne va pas les renvoyer à l'éditeur, qui sera dans l'impossibilité de les stocker dans ses bureaux germanopratins. L'imprimeur livre le stock dans les dépôts du distributeur.
Le boulot du distributeur est logistique. Il possède en général un énorme entrepôt, avec des mecs qui conduisent des chariots élévateurs et tout. Dans cet hangar, il y a plein de romans. Le distributeur fait livrer les bouquins aux centrales d'achats, aux libraires, et à l'éditeur, qui commande plusieurs centaines de volumes pour les services de presse (et quelques dizaines pour l'auteur, ce qu'on appelle les « exemplaires d'auteur », fournis gratuitement c'est bien la moindre des choses).
Couramment, le distributeur possède un organe de diffusion.
La diffusion, dans l'édition, c'est l'aspect commercial. Des gus nommés « les représentants » (alias « les repré »), avant même l'impression du roman, sont chargés de démarcher les libraires pour que ceux-ci commandent le bouquin.
Durant le travail de préparation éditoriale, l'auteur est invité à rencontrer les représentants afin que ceux-ci le connaissent et soient tout contents de fréquenter le gratin de la littérature française.
Après quoi, les représentants sillonnent les librairies de France avec leur catalogue.
Face aux libraires, ça se déroule de la sorte :
- Voici mon nouveau catalogue, j'ai plein de titres super croustillants à vous proposer !
- Oh oh ! Voyons voir ça.
- Alors là nous avons le nouveau Stoni, c'est tout à fait graveleux et subversif.
- Je vous en commande dix, dans ce cas !
- Adjugé vendu ! Passons à la suite...
Le truc qu'il faut savoir sur le distributeur, c'est qu'il travaille pour des dizaines d'éditeurs à la fois.
En France, un bon distributeur est en fait une filiale d'un géant de l'édition.
Exemples : Volumen pour la Martinière-Seuil, Hachette Livre Distribution pour Hachette, Sodis pour Gallimard, etc.
Ces entreprises s'occupent donc de distribuer les bouquins de leur société mère.
Mais elles sous-traitent aussi leurs services à des éditeurs « indépendants » (et là on se rend compte que, malgré les beaux discours, un éditeur n'est JAMAIS indépendant, puisqu'il fait forcément sous-traiter chez la filiale d'un concurrent).
Pour le distributeur-filiale, cette activité de sous-traitant a deux intérêts.
Premier intérêt : le fric. Plus tu bosses, plus t'es rentable (enfin, si tout est bien organisé).
Deuxième intérêt : la veille littéraire. En s'occupant d'autres éditeurs, la Sodis de Gallimard, par exemple, va être en connaissance de tout ce qui se fait ailleurs, qu'est-ce qui se vend bien, faire remonter l'information à Gallimard, lequel pourra ainsi piquer des auteurs chez de petits éditeurs. N'est-ce pas magnifique ?
Avant de signer un contrat d'édition, tu dois absolument savoir qui est le distributeur de l'éditeur. Un bon distributeur = une bonne visibilité dans les librairies = tu as potentiellement plus de chances de faire une vente honorable.
Les petits éditeurs distribués par eux-mêmes : NON. Tu seras dans trois librairies à tout casser et ça sert à rien.
Les petits éditeurs distribués par Limousin Distribution : NON. Idem.
A lire : ma liste des bons distributeurs
Bon, le désavantage avec l'éditeur « indépendant » distribué par une grosse filiale, c'est que si tu es en inimitié avec la maison mère, le distributeur peut recevoir des consignes et flinguer la vente de ton roman. Par exemple : tu as publié chez Hachette et ça s'est super mal passé. Tu t'es engueulé avec ton éditeur, ça a été un cataclysme. Du coup tu t'es barré et tu vas chez un autre éditeur, mais il est distribué par Hachette. Ton ancien éditeur est mis au courant. Revanchard, il appelle Hachette Distribution et ordonne : « Le bouquin de ce petit connard, vous vous démerdez pour que personne ne le commande et que ce soit un bide. Ha ha ha ! (rire machiavélique) »
Ce genre de chose reste heureusement TRES RARE, mais ça arrive.
Mieux vaut être prévenu.
N'oublions pas que les services du distributeur ne sont pas gratuits (surtout quand il s'agit d'une grosse boîte super classe qui se la pète à fond). Il se fait payer en ponctionnant un pourcentage non négligeable sur la vente du bouquin : entre dix et trente pour-cent.
Quel rapport avec les ventes de mon roman ?
Si tu es finaud tu as déjà deviné !
Option A. Tu es chez un éditeur « indépendant » (donc qui fait sous-traiter la distribution ailleurs) : la logistique lui échappe complètement. Il n'a pas les chiffres de ventes avant un bon moment, et d'ailleurs rien n'oblige le distributeur à lui les fournir... Les gros distributeurs qui se la pètent pratiquent une politique de terrorisme à l'égard de leurs clients indépendants. Genre « Vous êtes distribués par Hachette, alors estimez-vous heureux et fermez vos gueules ! ».
Sans compter qu'il existe une tonne d'intermédiaires, d'un point de vue financier. Le librairie achète le roman commandé, le distributeur le lui livre, puis le libraire vend le livre, puis le distributeur rembourse sa part au libraire, etc, etc, etc. Tout le monde se paie à soixante jours, dans ce bordel. Avec des libraires géants comme la Fnac, vu qu'il y a plein de couches (succursales / région / groupe), c'est encore plus long.
Si tu connais tes chiffres de vente six mois après la parution, c'est super. Mais franchement ce sera difficile.
Option B. Tu es chez un éditeur qui se « distribue lui-même ». La logistique ne lui échappe pas complètement. Après, il faut savoir si ton directeur de collection est bien vu par la maison et a accès aux comptes de la filiale. Cela dit, ce sera toujours aussi long pour connaître les chiffres, pour les raisons d'intermédiaires, de circuit, de délais, dont j'ai parlé plus haut.
Alors, oui c'est la merde.
Mais c'est pas tout.
Pourquoi un éditeur n'aime pas parler des ventes à son auteur
SAUF SI TU TOMBES SUR UN MEC HONNETE ET HUMAIN, ton éditeur va renâcler dès que tu le questionneras sur les ventes.
Pourquoi ? Parce que, probablement, il te doit du pognon.
Ou bien il ne te doit pas de pognon, mais il n'a pas envie que tu prennes la grosse tête et que tu te la pètes. Un bon indien est un indien mort. Un bon auteur est un auteur sans prétentions...
Et comprends bien une chose fondamentale dans l'édition, ami auteur : ton éditeur DETESTE TE FILER DU FRIC.
C'est comme ça. C'est viscéral.
Légalement, il est néanmoins obligé de te fournir un relevé de comptes à peu près un an après la parution de ton bouquin.
Ce qui risque de se passer : l'éditeur te refile une feuille pleine de chiffres auxquels tu comprends RIEN. C'est illisible. Mais le truc que tu as compris, c'est que tout en bas, sur la dernière ligne, c'est écrit en gros : montant dû à l'auteur : 4 €.
Génial !
Tu te renseignes auprès de tes amis éditeurs / écrivains et leur montres le papelard. Les mecs ricanent et te disent : « Ha ha ha, il a pas envie de te payer ce con ! Bienvenue au club. »
Et voilà.
Si tu as du temps à perdre, tu vas entamer une longue bataille à coups de lettres recommandées, mises en demeure, tu vas recourir aux syndicats de gens de lettres, et à la fin, toujours que dalle (sauf peut-être un nouveau chèque de 100 € : chanmé !).
Ça se passe comma ça, chez McDonald's !
Edistat : l'arnaque ultime
Au terme de ce long article, tu auras compris que SEUL LE DISTRIBUTEUR CONNAIT EXACTEMENT LES CHIFFRES DE VENTES, et personne d'autre.
Ces chiffres sont donc calculés de façon extrêmement complexe. Surtout, ils constituent un véritable secret d'Etat.
Alors franchement, les sites de comptabilisation des ventes comme Edistat, laisse-moi te dire que c'est de la grosse connerie.
Déjà, ils calculent à partir de statistiques. Les statistiques, on a vu ce que ça donnait au premier tour des élections présidentielles de 2002 !
Ensuite, crois-moi, aucun gros distributeur ne permettrait qu'on connaisse ses ventes effectivement réalisées. PERSONNE N' A AUCUN INTERET A CA.
Edistat, c'est super pour faire raquer les auteurs qui ont envie de savoir à combien leur livre se vend (et ils se tromperont), ou à combien le livre de tel connard qu'ils ne peuvent pas s'encadrer se vend, etc...
Je t'en supplie, ami lecteur, ne donne pas un centime à ces viles malfaiteurs !
Une question ?
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