Ha ! Quand je pense que certains accusent mon blog d’être « égotiste », tandis que je consacre mon temps
libre à informer les auteurs perdus dans le monde maléfique de l’édition !
Bon, m’ayant bien assez ouvert le cul en une seule phrase, passons aux choses sérieuses.
Voici un message reçu il y a quelques temps déjà (publié avec l’accord de l’auteur et synthétisé par mes soins).
Mon cher et vénérable Stoni,
Je me sens aussi énergique qu’un bulot, en ce jour maudit où je prends l’audacieuse initiative de t'écrire.
En tant que grande lectrice de ton blog, je requiers ton avis franc et éclairé.
J’ai envoyé une petite dizaine de manuscrits à des éditeurs, voilà plusieurs mois. Après avoir reçu quelques refus,
enfin, j’ai un appel !
C’était il y a quinze jours. Un directeur littéraire de chez XXXX Editions (censuré pour le blog, mais un poids-lourd
de l’édition française) me téléphone : il a adoré mon roman et il va le recommander au comité de lecture.
Evidemment, je suis toute jouasse.
Depuis, aucune nouvelle. Jusqu’à ce matin : j’ouvre ma boîte aux lettres et y récolte mon manuscrit retourné par
ce monsieur, assorti d’un courrier qui attribue tous les mérites au roman… magnifique, jouissif, novateur, enfin tu vois… mais le comité de lecture n’a pas suivi l'avis de ce directeur littéraire
et le texte est refusé.
Je viens te prendre la tête pour en parler avec quelqu’un de l’intérieur, car je suis fort égarée.
Que dois-je faire ? Rappeler l’éditeur pour le remercier ?
Continuer à envoyer des manuscrits ? Ou bien abandonner ?
Pourquoi une telle cruauté ? Pourquoi m’avoir donné des faux espoirs ?
Je ne sais plus où j’en suis.
Avant de te quitter, je tiens à préciser que tu es l’être le plus intelligent du monde et, j’ose poser LA question, que
ferions-nous sans toi ?
Amitiés,
Souad
Bon, d’accord, la dernière phrase du message je l’ai un petit peu modifiée (j’ai rajouté quelques virgules).
La réponse de Stoni, ici, maintenant, tout de suite, now !
Selon moi, notre amie Souad s’est confrontée à deux problèmes : primo son ignorance complète du rôle et du
fonctionnement d’un comité de lecture, deuzio son ignorance complète de la psychologie (pourtant, ma foi, fort basique) d’un éditeur (ou directeur littéraire, ou directeur de collection, ou tout
ce que vous voulez…).
LE COMITE DE LECTURE DANS TON CUL !
Dans un premier temps, expliquons ce qu’est exactement un comité de lecture.
Un comité de lecture regroupe une dizaine de mecs payés pour examiner des manuscrits après une première
sélection opérée par des lecteurs rémunérés. Ensemble ils délibèrent pour choisir ceux que l’on va éditer ou pas.
Le comité de lecture est la petite exception culturelle des éditeurs qui veulent se distinguer (exemple : la Blanche
chez Gallimard est soi-disant tributaire de la validation d’un comité de lecture… soi-disant, hein…).
En l'absence de comité de lecture, c’est l’éditeur, ou le directeur de collection, qui choisit les manuscrits. Parfois il
doit obtenir l’accord de son patron ou d’un directeur commercial, mais à la base, c’est lui qui drive son truc, si j’ose dire.
Le rôle du comité de lecture serait de soumettre ce genre de choix à un collège de décideurs éclairés, pour éviter les
boulettes.
En réalité, le comité de lecture est une vile fourberie inventée par des gens qui n’ont pas envie de se casser le
cul.
Le fait qu’il y ait plusieurs lecteurs répartit les tâches (« euh je prends deux manuscrits pour la semaine et le
petit nouveau il prendra le reste, c’est-à-dire les quinze qui attendent depuis onze mois… »), répartit les responsabilités (« les Mémoires de Mickey Mouse c’est pas moi qui
les ai soutenus, c’est Jean-Mi ! ») et ça fait style chez nous on est trop soudés et trop en travail d’équipe (« la culture d’entreprise, Antoine G. il
kiffe ! »).
En réalité toujours, vous imaginez bien que le manuscrit écrit par Oussama Ben Laden, où il révèle qu’il n’est pas mort
mais que c’est son frère jumeau caché qui a été éliminé par les Américains, ben il passera pas par un comité de lecture…
Le comité de lecture est donc une tradition honorifique qui, comme toutes les traditions honorifiques, est surtout là pour
faire joli mais qui ne sert pas à grand-chose.
Lorsqu’un éditeur vous dit « je vais recommander votre roman au comité de lecture », ça veut dire qu’il
n’a pas un véritable pouvoir de décision et qu’il s’abrite derrière cette excuse pour, implicitement, vous faire comprendre « euh mon coco je suis pas sûr qu’on va pouvoir te signer,
là… ».
Vous allez me dire : pourquoi l’éditeur prévient-il l’auteur de la recommandation du manuscrit pour le comité de
lecture, s’il n’est sûr de rien ?
Nous abordons là le deuxième problème rencontré par Souad.
UN EDITEUR ET PARIS HILTON SE SITUENT SUR LE MEME PLAN
D’UN POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUE
(ET ENCORE PARIS HILTON EST VACHEMENT PLUS MARRANTE)
(SI SI JE VOUS JURE UNE FOIS JE L’AI RENCONTREE)
Vous avez affaire à un éditeur ?
Vous déduisez alors être en relation avec un être expérimenté, professionnel, intelligent et cultivé ?
Que nenni !
Vous venez de vous coltiner un bobo parisien superficiel et arriéré : et c’est ce mec-là qui est décisionnaire de
votre carrière littéraire !
ATTENTION N°1 !
IL EXISTE DES EDITEURS HUMAINS, PROFESSIONNELS, INTELLIGENTS ET CULTIVES.
SACHEZ SEULEMENT QU’ILS SONT EN INFIME MINORITE.
ATTENTION N°2 !
LE PASSAGE QUI SUIT PEUT HEURTER LA SENSIBILITE DES PERSONNES TRAVAILLANT DANS L’EDITION.
SI VOUS TRAVAILLEZ DANS L’EDITION JE VOUS RECOMMANDE DE NE PAS LIRE CET ARTICLE.
Je vais vous dire ce que je pense de la mésaventure de notre amie Souad.
Le directeur littéraire qui l’a recontactée pour lui dire « ah mais votre roman est magnifique je le recommande de
ce pas au comité de lecture ! » a agi de façon totalement anti-professionnelle.
Je considère qu’un éditeur ne doit jamais appeler un auteur avant d’être fixé sur le sort d’un
manuscrit.
Les mecs qui s’amusent à téléphoner aux auteurs pour leur fournir de ce genre de fausses joies sont désespérants,
inhumains et n’agissent pas en professionnels de l’édition. Mon jugement est arrêté, personne ne me fera changer d’avis à ce sujet.
Mais, voilà, ça n'a pas empêché l’éditeur de Souad de se comporter de la sorte. Pourquoi ?
Nous allons retracer tout ce qui est arrivé à l’éditeur qui a appelé Souad depuis la réception du manuscrit, pour mieux
comprendre son comportement.
L’éditeur qui a appelé Souad est né en 1962 dans une famille de la bourgeoisie parisienne. En 1980, il passe un bac
littéraire mention bien.
Non je déconne.
A onze heures du matin, un vendredi, notre homme arrive dans les locaux de sa maison d’édition (heure d’arrivée normale
pour un parisien – et encore je dirais que c'est un petit lève-tôt celui-là !), à Saint-Germain-des-Prés.
Toute une pile de manuscrits, assortis de leur fiche de lecture, l'attend. Oh là là, que de travail ! L'éditeur est
consterné et d'ores et déjà harassé. Il compulse les manuscrits en lisant trois lignes au hasard et décrète : « De la merde... de la merde... de la merde... ».
Et puis, d'un coup, il tombe sur le manuscrit de Souad, qui tient la route. Pire encore : il est pas mal du tout ! Chose
tellement rare que notre éditeur se tape un orgasme littéraire au milieu de son bureau. MON DIEU MAIS C'EST MAGNIFIQUE. QUARANTE-SIX ANS DANS LE METIER JAMAIS VU CA !
Si l'éditeur était un être rationnel, relié à l'ordre de la production comme nous autres pauvres prolétaires,
il suivrait la procédure de sa boîte : recommander le manuscrit au comité de lecture. Mais il attendrait d'avoir le retour du comité pour informer Souad. Si c'est positif, voilà, il l'informerait
de la bonne nouvelle en lui faisant une propa (proposition). En cas de réponse négative, il pourrait l'appeler, si ça lui chante, afin de lui dire que son manuscrit est de qualité et qu'elle doit
continuer à écrire et tout et tout.
Sauf que. Sauf que voilà.
L'éditeur décroche son téléphone. Avec ses petits doigts boudinés moites de sueur, il compose le numéro de Souad.
- Allô ?
- Bonjour vous êtes Souad ?
- Euh oui ??
- Ecoutez je suis monsieur le directeur littéraire, j'ai lu votre manuscrit et je l'ai trop kiffé ! Ça le fait meeeec
!
(le prénom de Souad influence l'éditeur à emprunter « un langage des banlieues ». il souhaite se faire
comprendre)
- Ah c'est vrai ????
Souad est sens dessus dessous, la pauvre !
- Mais oui vingt-cinq ans dans le métier jamais vu ça ! Comme vous êtes douée ! Et voilà que je te fais plein de
compliments à plus en pouvoir.
- Aaah ! s'extasie Souad, ce qui est bien normal.
- Bon je vais recommander votre manuscrit au comité de lecture ! Parce qu'on est plusieurs à décider vous comprenez ! Mais
je vais tout faire pour soutenir votre roman, vous pouvez me croire !
- Oh merci c'est trop bien !
- Attendez quelques semaines, je vous tiens au courant !
- Merci merci merci !
- Mais de rien ! Au revoir.
Et fin de communication.
En dix minutes trente-deux secondes, ce mec vient de foutre la vie de Souad en l'air.
Je vous rassure : il ne s'en rend pas compte.
L'éditeur vit dans un autre monde. L'éditeur ne s'inscrit pas dans votre réalité quotidienne.
La réalité quotidienne de l'éditeur, c'est ça. L'éditeur est un gros con de bobo parisien, incapable d'écrire, qui vit en
parasite sur le talent des autres. En plus, cette semaine, il a de gros soucis. Sa femme est en voyage d'affaire, aussi voulait-il en profiter pour rencontrer sa maîtresse. Mais le chien de sa
maîtresse est tombé malade. Le rendez-vous tombe à l'eau ! Trop dommage ! L'éditeur voulait emmener sa maîtresse à la petite sauterie organisée par Pierre Assouline au Flore, samedi soir ! Ça
fait trop chier ! L'éditeur est dans tous ses états. Il en a même des flatulences, c'est dire. Un dégât des eaux s'est déclaré dans son appartement parisien (à Bastille ou, plus populaire, à
Ménilmontant – il se sent très de gauche quand il vit au milieu de ce qu'il croit être des pauvres).
Bref, rien ne va plus.
J'exagère un peu, mais quand on a affaire à des gens de l'édition, bien souvent, le niveau ne plane pas plus haut que ça...
Ce sont des bourgeois inconscients. Rien d'autre.
De fait, le manuscrit de la petite Souad, ça lui ouvre de nouveaux horizons, à notre éditeur, ça lui troue le cul un max !
Faut se mettre à sa place ! Il passe sa vie à faire éditer des amis d'amis. Et là, pour une fois, il débusque un manuscrit assez bon, envoyé par la poste par une obscure petite prolétaire que
personne ne connait. Aurait-il déniché la perle rare ? Et vu le prénom de la jeune fille, il s'agit probablement d'une jeune des cités ! Il se sent en mission humanitaire, le gars. Trop le
bourgeois qui va aider les jeunes des banlieues !
Il en peut plus. Il se laisse déborder par son enthousiasme et commet la faute professionnelle d'appeler Souad (même si
pour lui ce n'en est pas une).
En tout cas, Souad, ça lui fait une belle jambe, cette histoire !
Ce con d'éditeur n'a même pas les couilles de la rappeler pour lui donner la « décision » du comité de lecture,
une fois qu'il la connait... Non, avec tout le courage que l'on reconnaît ordinairement à sa classe sociale, il lui envoie un courrier par la poste. Le comble de l'inélégance !
Néanmoins, pour Souad, l'aventure a deux intérêts.
Ça lui fait comprendre que son manuscrit tient la route un minimum. Sinon, le directeur littéraire d'une grande maison
d'édition ne l'aurait certainement pas rappelée...
Et ça la dépucèle de l'édition. Première humiliation. Il en viendra d'autres, pas de doute...
CONCLUSION
J'ai conseillé à Souad d'envoyer un petit courrier bien chiadé de remerciement à l'éditeur, et de demander des adresses de
confrères qui pourraient être intéressés par sa prose.
Dans ces cas-là, il faut songer à soi-même et à rien d'autre. On s'en fout d'être faux-cul. Le truc c'est d'avoir des noms
pour envoyer le manuscrit. Ça peut toujours servir.
Souad a une chance sur deux d'obtenir une réponse. Il faut toujours essayer.
Cela dit, si ça la fait trop chier rien ne l'oblige à se fendre de ce petit courrier hypocrite...
Le truc à ne pas faire : rappeler l'éditeur pour l'insulter. Croyez-moi, ça ne sert à rien. Et l'édition est le plus petit
des microcosmes : vous avez trop de chances de recroiser ce mec à l'avenir, dans une autre maison, à un poste beaucoup plus important...
Donc, on encaisse et on relève la tête.
On continue à envoyer ses manuscrits.
Nous sommes des auteurs, nous sommes les meilleurs, nous sommes les plus doués.
Camarade auteur, ton mantra sera : fuck the rest of the world, blow me and eat my shit.
PS : tu peux aussi relire l'article A l'aide un éditeur m'a rappelé !
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