Toi qui me lis sur ce blog,
Toi qui écris mais n'oses pas soumettre tes manuscrits aux éditeurs, par mésestime de toi,
Toi qui écris et qui « n'arrives pas » à éditer,
Toi qui écris et qui t'apprêtes à franchir le pas,
Toi qui n'écris pas mais qui admires les écrivains,
Toi qui « aurais voulu être un artiste »...
Toi, homme ou femme, adolescent, jeune, ou mature,
Qui m'envoies un message pour me dire ta réalité, ton expérience, tes déceptions, tes frustrations, tes peurs,
Toi qui me demandes des conseils.
Moi qui fais ce que je peux pour toi,
Je voudrais te dire.
Moi qui suis auteur, édité, qui ai ma petite réputation. Moi qui ai les coupures de presse, les gratifications, l'argent, le livre imprimé, le livre vendu, les tables des nouveautés dans les grandes librairies et dans les grandes chaînes culturelles, les salons, les dédicaces, et toutes ces conneries.
Je sais que tu crois qu'il faut avoir du talent pour être édité.
Non. Jamais. Il n'y a pas de talent, il n'y a jamais eu de talent, il n'y a jamais eu de génie littéraire non plus.
Il y a un marché, qui obéit aux lois de l'économie. Avec, tout simplement, un vendeur (l'éditeur), un producteur (l'écrivain), puis une clientèle (le lectorat).
Le vendeur fournit un certain type de produit à sa clientèle, laquelle n'achète pas n'importe quoi. La clientèle achète en fonction de ses besoins, de ses questionnements et des modes.
Le vendeur recherche des produits adéquats, ceux qui plairont à sa clientèle.
Et là-dedans, l'écrivain est une bouteille jetée à la mer.
Si l'écrivain est édité, c'est parce qu'il correspond à la demande du marché : il n'y a pas d'autre raison concrète, il n'y aura jamais une autre raison concrète, il n'y a pas de miracle.
L'auteur qui ne sera jamais édité, l'auteur qui échouera, tout du long de sa vie, à trouver l'éditeur, n'est pas un auteur raté. L'auteur qui ne sera jamais édité est un auteur qui ne s'insère pas dans le système économique du marché qu'est la littérature.
C'est ainsi.
Je crois qu'il y a deux types d'auteurs édités.
L'auteur « chanceux » : sans vraiment le vouloir, il a réussi à écrire un texte qui correspond aux attentes du marché.
L'auteur « opportuniste » : volontairement, il a écrit un texte qui correspond, lui aussi, aux attentes du marché.
L'écrivain qui n'arrive pas à éditer est « malchanceux ». Il n'est pas auteur au bon moment, à la bonne époque, au bon endroit.
Rien d'autre.
Je sais également que tu t'imagines bien des choses, sur mon métier, celui d'un auteur « chanceux ».
Moi je te réponds : peut-être n'as-tu pas raté grand-chose en restant anonyme.
Ne te figure pas que ma vie s'est vue transfigurée, parce que, un jour, j'ai été édité.
Non.
J'ai des soucis, comme toi, des problèmes, des remises en question, j'ai aussi le sentiment qu'on me prend pour un con, qu'on se fout de ma gueule, et surtout, je dois me battre, tous les jours, tout le temps, partout.
Mes emmerdes ont changé, mais elles sont restées là.
Ecrivain, c'est un métier de chien, et ça ne date pas d'hier.
Je suis payé quelques milliers d'euros pour chaque roman écrit. Quelques milliers d'euros ne faisant pas vivre, j'ai un emploi salarié à côté. Oui, mes romans sont là, dans les librairies, oui, des gens les achètent.
Sinon, je me bats contre mes éditeurs, tout en essayant de compromettre avec eux, car, crois-moi, changer de maison tous les ans, ce n'est pas une sinécure.
Je me bats pour que mes romans soient acceptés sans trop de modifications, je me bats pour imposer mes thématiques, et pas celles que mes éditeurs voudraient bien me voir « développer ». Je me bats pour que ces mêmes éditeurs fassent correctement leur boulot. Penses-tu que je sois reçu comme un prince, chez mon éditeur ? Non. Je suis un nom dans un catalogue. Rien de plus.
L'autre jour, j'ai lu, par hasard, une anecdote révélatrice. L'auteur Marie Cardinal expliquait qu'elle avait dû quitter une maison d'édition parce qu'on « l'avait échangée contre un autre auteur ». Bien entendu, au ton qu'elle prenait, ça se sentait qu'elle n'avait pas apprécié le geste.
Voilà. L'écrivain est une entrée dans un catalogue que l'on peut, potentiellement, transférer, pour s'en débarrasser.
Trouves-tu cela gratifiant ?
Je ne suis pas une célébrité, je ne sais guère si j'en deviendrais une un jour, et ne t'en fais pas, on me le fait comprendre. Même si mes chiffres de vente sont très honnêtes, on sait me rappeler, tacitement ou explicitement, que d'autres vendent davantage.
J'essuie le dédain des certains journalistes, de critiques. Et les vois parfois revenir la queue entre les jambes, le compliment au coin des lèvres, au moment où ils sont bien obligés de le faire. Je me tape la condescendance à peine dissimulée de ces drôles de gens qui organisent des salons du livre, comme je suis jeune, comme je suis pauvre, comme je ne suis pas une star.
Vexations, humiliations, insultes, crachats.
Alors, oui, il y a des choses qui sont agréables.
Ecrire, tomber amoureux de ses personnages, vivre, de longs mois, à leur côté, les construire, les fortifier, les lancer à l'assaut du monde, après les avoir préparés pour cela. Les voir prendre chair dans la conception d'autrui, parce que je suis lu, parce qu'ils sont diffusés et livrés à autant de gens qu'il y a de lecteurs, critiques, journalistes...
Lire la bonne critique, c'est, je l'avoue, très agréable.
Lire la mauvaise, beaucoup moins.
Il y aussi les retours des lecteurs. Les messages, les courriers, que l'on reçoit. « Bonjour, je voulais vous dire que j'ai lu votre livre et que c'est le meilleur roman que j'ai lu de toute ma vie ! ». Les encouragements. Les gens qui vous disent « Vous m'avez redonné confiance en moi. » Les gens qui, tout simplement, vous écrivent : « Merci pour ces heures de lecture qui sont passées trop vite. »
Mais, sincèrement, il n'y a pas que ça.
Il y a tout le reste.
Toi qui me lis, ne l'oublie pas, ne l'oublie jamais.