Il y a des jours, comme ça, où l'on se sent nul. Louzeur, comme on dit en bon français.
Dans ces cas là, mon fidèle Aniki (non c'est pas mon chien mais mon mec, or c'est vrai qu'il est fidèle – enfin je crois) me remonte le moral.
Mais que faire lorsque nous sommes deux à nous sentir louzeurs ?
Lui et moi ?
L'autre jour, j'étais au trente-sixième dessous. Quelqu'un (d'inintéressant et de pas important, qui plus est) m'avait dit que « j'écrivais toujours les mêmes livres ». Ses arguments n'étaient pas idiots et je me suis senti comme une merde, après coup.
Quant à Aniki, il lui était arrivé une saloperie au boulot. Genre le truc assez chiant.
Pendant le week-end, nous nous sommes retrouvés amorphes, tout piteux, désespérés de nous-mêmes et prompts à nous lamenter sur notre sort.
- Chuis un écrivain de merde... J'écris toujours les mêmes histoires... Tu te rends compte... ça craint...
- Mais non.
- Je vais arrêter d'écrire...
- De toute façon vaut mieux être un écrivain de merde qu'un con.
- Pourquoi ?
- Parce que moi je suis un con.
- Mais non !
- Mais si. T'as vu au boulot je m'en sors pas. C'est parce que je suis un con.
La journée déprime était officiellement inaugurée.
Nous avons décidé de la consacrer en restant devant la télé toute la journée (enfin, devant le streaming sur ordinateur, car on n'a pas de télé).
On a regardé des programmes en différé et des séries télé.
- On est des vraies loques...
- Ben ouais mais on déprime... T'as envie de faire quelque chose, toi ?
J'aperçus mon reflet dans l'écran de l'ordinateur :
- Pff j'ai honte de montrer c'te putain de gueule de connard au monde entier, je te jure. Vaut mieux pas qu'on sorte !
On se marre.
- C'est vrai que t'as une sacrée gueule de connard.
- Oh je t'emmerde putain !
- Non t'es beau en vrai.
- Même. J'ai honte de montrer ma belle gueule de connard d'écrivain qui écrit toujours le même livre.
- De toute façon tous les écrivains écrivent toujours le même livre... Regarde ton idole Philip Roth.
- Oué mais c'est Philip Roth. Il a le droit, lui.
Nous nous forçons à nous rendre dans la cuisine, où nous nous réfugions sur la nourriture. Je prépare des hamburgers maison.
- Oh t'as la force de faire à bouffer, toi ?
- Ben en fait c'est juste pour pouvoir me goinfrer comme un putain de gros, tu vois. Chuis juste bon à me goinfrer.
Tout en cuisinant, je cogite grave :
- Mmh, j'aurais pas dû regarder toutes ces séries télé nulles comme Glee. Je suis sûr que ça m'a fait régresser. Et après j'écris des livres de merde.
- C'est pas toi qui penses, de toute façon, que la littérature c'est réactionnaire et que le roman n'est pas révolutionnaire ?
- Tout à fait. Le roman ne sera jamais révolutionnaire.
- Ben alors qu'est-ce tu t'en fous d'écrire des livres de merde ?
- C'est par amour-propre. Je veux qu'on me respecte.
Aniki soupire.
Les hamburgers sont plutôt réussis.
J'essaie de revaloriser Aniki, puisque en ce qui me concerne, je me considère comme une cause perdue.
- T'inquiète bébé, t'es un très bon travailleur et tu fais honneur au prolétariat. Tout va s'arranger.
- Nan...
- Mais si.
- Mais nan !
Bon.
J'abandonne.
Exploit, on part se promener. Notre pas est lent.
- Si ça se trouve, on s'entend bien parce qu'on est deux boulets.
J'acquiesce.
- Toi un écrivain de merde, moi une sorte de branleur chiant qui pige que dalle au boulot. Je suis sûr que tous mes collègues me détestent, en vrai.
- Au moins dans ton cas t'as un salaire qui tombe tous les mois...
- Et puis, comme on est deux boulets, y'en a toujours un qui va tirer l'autre vers le bas. On s'aide pas, tu vois ? Un cercle vicieux.
- Possible.
- Et notre tendance à nous trouver exceptionnels et à être autant fusionnels, c'est juste pour échapper à la dure réalité du monde extérieur, où, tout compte fait, la plupart des gens sont supérieurs à nous. D'ailleurs, si tu es communiste, c'est parce que tu veux niveler par le bas.
- Le pire c'est que t'as raison, probablement.
- A la fois, tu lis des livres drôlement compliqués pour un type inférieur à la norme.
- Mmh. Des livres qui n'intéressent que moi...
On a ruminé toute la journée.
La nuit est passée.
C'est marrant, parce que le lendemain en se réveillant, on s'est sentis vachement mieux. Optimistes, confiants en nos propres capacités, pleins d'énergie.
Comme quoi ça doit faire du bien, d'être un louzeur, de temps en temps.