Une fois il m'en est arrivé une bonne.
Je vais rarement dans des librairies. J'achète mes livres dans des librairies, mais sur internet, ou bien dans des vide-greniers.
Sauf exception. Je passe devant une librairie, je regarde la vitrine, j'ai cinq minutes devant moi et je rentre.
Cette fois-là, mon dernier roman venait de sortir et je ne le vois pas dans les rayons, ni sur les présentoirs, ni nulle part. Ce qui est bizarre.
Je vais me renseigner auprès du libraire.
- Bonjour, je cherche le dernier roman de Stoni, vous l'avez pas ?
Je m'attends à ce que le gars ne connaisse pas mon nom et lance une recherche dans sa base de données.
Ben non. Il connait très bien mon nom, en fait.
- Stoni ? Ah on fait pas ça, nous.
Je suis étonné.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est nul à chier.
Direct. Il a vraiment dit nul à chier. Je tâche de ne rien laisser paraître... Et me demande si ce type m'a reconnu – bien que je ne l'aie jamais vu de ma vie – s'il veut me jouer un tour, j'en sais rien...
- Ah bon, euh, nul à chier ? Moi j'en ai entendu parler de cet auteur, ça a l'air bien je trouve...
- Forcément que vous en avez entendu parler, c'est un pistonné.
Sans déconner.
- Un pistonné ?
- Oui, on l'a édité depuis le début parce qu'il rentre dans les quotas. Son éditeur se glose qu'il ait pistonné un pauvre issu des quartiers difficiles au nom pas français du tout. Il fait partie des minorités visibles...
- Mais vous avez lu ses romans ?
- Oui, c'est de la grosse merde. Je vous déconseille vraiment ce genre de livres. Une sorte de fatras composé par quelqu'un qui n'a pas dépassé le CM2, qui n'a aucune culture et qui est branché cul pendant cinq cents pages. Illisible.
- Ah bon... Mais c'est étrange, parce que ça marche un petit peu ses livres, enfin c'est ce que j'ai entendu dire...
- Forcément ça marche bien, il couche avec son éditeur.
Carrément. Je couche avec mon éditeur. Première nouvelle.
- Ah oui ? fais-je, scié.
- On sait tout dans notre milieu, vous savez.
- Comment vous le savez, au juste ?
- Je connais bien des auteurs de sa maison d'édition.
Et mon cul c'est du poulet, connard.
Vu la tronche de sa librairie, je vois pas comment il pourrait connaître des collègues, mais enfin bon...
- Stoni, c'est un peu le Rachida Dati de la littérature française. En plus à ce qu'il paraît il est très bling-bling, comme mec.
Là j'ai envie de lui répondre : « j'ai l'air bling-bling, enculé ? ».
- Comme il est beau gosse et qu'il passe bien sur les photos, il a droit à une certaine publicité dans la presse. Mais il ne la mérite pas !
- Beau gosse ? Vous l'avez déjà vu en photo ?
- Vite fait.
-
Mmh...
- Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Un petit con, quoi.
- Ah... Bon ben si je veux acheter son roman, faut que j'aille ailleurs, visiblement...
Le libraire, grand seigneur :
- Non je vous le commande si vous insistez.
Si j'insiste ? Ces commerçants qui renâclent à vous vendre des trucs, ça m'a toujours fasciné.
- Ben non j'insiste pas, je voudrais pas vous déranger...
J'hésite foncièrement à lui dire la vérité.
Mais je me contente de sortir de la librairie.
Je raconte l'anecdote à mon éditeur.
- C'est la rançon du succès, mon petit Stoni. Tu commences à devenir une célébrité qui cristallise de la haine.
Ben vu ce qu'on me paie pour cette soi-disant « célébrité », la haine cristallisée, je m'en passerais bien.