Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
Vous savez quoi ? En ce moment, quand j'écris « nous les auteurs », j'ai l'impression de mentir. C'est te dire, lecteur, à quel point je me sens à l'aise dans cette putain de profession.
Enfin, je dois malgré tout l'écrire. Donc, pour nous les auteurs, France Culture est une sorte de mythe. Non, pardonnez-moi, ce n'est pas une sorte de mythe : c'est un mythe. Un passage sur la radio publique culturelle te coiffe des lauriers que tout écrivain se doit de convoiter : l'auteur france-culé.
Le mythe.
Entre auteurs, on aborde le france-culage avec respect, dans des murmures graves et sentencieux. Le france-culage, ça n'est pas de la rigolade... Tout ceux qui ont été france-culés s'en vantent, et ceux qui ne le sont pas encore en bavent d'envie. Le france-culage sera bien entendu signalé sur le facebook de l'auteur, avec un lien vers le podcast de l'émission. Histoire que tes groupies hystériques puissent se masturber en écoutant ta prestation.
Quand, en tant que jeune auteur, tu considères toute l'aura que les auteurs accordent au france-culage, tu t'imagines des choses. Que c'est une expérience hors du commun, magique, que, après avoir été france-culé pour la première fois, tu passeras de l'autre côté. Un dépucelage, quoi. Tu auras même la prétention de croire que le france-culage aura un certain impact sur ta notoriété et tes ventes.
Qu'en est-il dans la vie réelle, mes amis ?
Comme d'habitude, Stoni est là pour te dire toute la vérité vraie sur un passage à France Culture.
La réalité
Un beau matin, mon éditeur m'appelle pour me claironner, en hurlant dans son téléphone, que je passe à France Culture. Ouais, putain, génial mon pote. Non sans déconner, moi je croyais que c'était bien. Au début.
Ton éditeur, exsangue, pantèle.
- Oh mon dieu Stoni, tu vas passer sur France Culture tel jour, n'est-ce pas magnifique, l'attaché de presse est tellement formidable, tu...
- Ah bon je croyais que tu l'aimais pas cet attaché de presse ?
- Mais non, je lui ai baisé les pieds, tu te rends compte, France Culture ? Bon alors tu dois venir demain à Radio France à 14h30.
Si d'aventure tu n'es pas disponible demain à 14h30 ? Eh bien, non, tu seras disponible demain à 14h30. Sans quoi ton éditeur te menacera de mort par lapidation parce que « France Culture oh mon Dieu mais c'est magnifique ».
- Euh bon mais c'est quoi l'émission à laquelle je vais participer ?
Question idiote, réponse idiote :
- Je sais pas.
Non, je te jure, le mec il a vraiment dit « je sais pas ». Je suis scié.
- Mais j'ai besoin de savoir c'est quoi l'émission. Que j'écoute au moins une fois avant, je connais pas France Culture, moi.
- On s'en fout. L'important c'est que tu sois à France Culture.
- Mais je veux écouter l'é...
- On s'en fout j'ai dit ! Appelle l'attaché de presse, il te dira, lui. Donc, demain à 14h30 studio n° 97.
Tu essaies d'appeler l'attaché de presse qui évidemment ne répond pas (il a peur de moi depuis la première fois que je l'ai vu, soi-disant j'ai été menaçant, je vous jure que ce n'était pas mon intention).
Bref.
Le lendemain tu te la ramènes donc à 14h30 aux studios. Déjà pour y aller, tu prends une pure ligne de RER pourrave, bien relou à repérer sur la carte, c'est super pratique.
Après t'être déshydraté une heure dans le RER, tu débarques devant le bâtiment pour le moins immonde de la Maison de la Radio. Une sorte de disque spatial que tu attribues naïvement à la France pompidolienne, soit à la pire époque architecturale qui fût au monde. Plus tard, tu apprendras que la vérité est ailleurs, soit dans le pire encore : la chose daterait de De Gaulle.
A l'intérieur, vu la gueule des locaux, tu as du mal à croire que ça date de De Gaulle. T'imagines plutôt un truc qui remonterait aux années cinquante. L'ORTF, quoi. T'es à peu près sûr qu'il y a de l'amiante dans les murs. Là, tu te mets en mode foulard noué autour du visage (ce qui bien entendu t'attire les regards médisants des rares employés croisés). La Maison de la Radio est bâtie comme l'enfer de Dante (tout s'explique) : par niveaux circulaires. Tu tournoies donc à la recherche du studio 97. Eh oui, 97 : y'en a un paquet, de studios, et tu tournoies longtemps de la sorte.
Le dixième cercle de l'enfer
Il n'y a pas de fontaine d'eau à l'horizon et, après ton périple dans le RER, tu commences un peu à avoir soif. Ben tant pis pour ta gueule.
Enfin, tu déniches le studio 97. A l'intérieur, personne. Un début en fanfare dites donc. Tu as le temps d'explorer le lieu, néanmoins. Le studio est immense, avec plein de bordel partout qui sert à rien : des chaises et des tables empilés. Une table non empilée a été laissée dans un tout petit coin avec des micros. Enfin, l'aquarium des ingénieurs du son.
Tu attends. Tu attends.
Tu te demandes si tu es dans le bon studio.
Tu ressors, croises un rare employé.
- Euh bonjour, je suis Stoni je dois participer à une émission dont je connais pas le nom parce que je terrorise mon attaché de presse, néanmoins savez-vous si je suis dans le bon studio là, parce que là, y'a personne comme qui dirait ?
Le mec te répond :
- Chais pas, moi.
Et pis il se barre.
Oulà ça commence bien tout ça, moi je vous le dis.
Tu retournes à l'accueil, demandes à l'hôtesse si tu t'es pas loupé. La meuf regarde sur sa liste.
- Mais si, vous êtes bien attendu au 97.
T'y retournes fissa et attends encore trente minutes. Il est désormais 15h20. Chanmé.
Bon, là je dois vous faire une confidence : je sais pas ce que j'ai avec les journalistes, mais alors, manque de pot, je tombe toujours sur des cons. Je n'en ai pas rencontré des dizaines non plus, mais ceux qui ont croisé mon chemin faisaient fort. Malpolis, arrogants, méprisants, négligés, etc. Je ne souhaite pas généraliser et garde l'audace prométhéenne d'imaginer, parfois, des journalistes charmants, accueillants, professionnels, courtois.
Pour te résumer en deux lignes le profil type du journaliste : disons que s'il a lu ton bouquin, tu peux déjà t'estimer heureux.
Putain le journaliste qui a pas lu ton livre, quelle plaie. Il te pose des questions complètement débiles et te fait grave perdre ton temps. Un peu comme si un journaliste interviewait Victor Hugo pour les Misérables et lui demandait « Bon alors, la bande-dessinée, vous avez commencé quand ? Quoi ? Ah bon ? - il ne s'excuse surtout pas de s'être trompé - Enfin, le roman, vous avez commencé quand ? Les Misérables, pourquoi ce livre sur la plus basse caste indienne ? Quoi ? Ah merde, oui, c'est les intouchables... Enfin quand même, ça se passe en Inde, pourquoi ? Quoi ? A Paris ? Alors pourquoi Paris ? » etc, etc, etc.
Le journaliste de France Culture ne déroge pas à la règle. Lorsqu'il arrive avec une heure de retard, il te salue du bout des lèvres et te fait comprendre qu'il est en retard, qu'il a pas que ça à foutre et que, limite, tu le déranges avec cette émission, putain quoi, il préférerait pouvoir rentrer chez lui.
Tu n'as toujours pas droit à un verre d'eau (je ne parle même pas d'un caoua, ce serait franchement du luxe).
Tu lui poses des questions qui le font grave chier. Quand tu avoues ne pas connaître son émission (et donc que tu aimerais bien qu'il te la présente, histoire que tu saisisses ce que tu fous là au juste), le mec le prend personnellement et tire une gueule de dessous de pied. A force d'insister, tu arrives à lui soutirer les informations essentielles : l'émission est une émission littéraire (une victoire, mon attaché de presse étant capable de m'avoir fait inviter à un truc, je sais pas, sur le jardinage par exemple), elle passe à 23h30 mais attention elle est aussi disponible sur le net en podcast.
Là tu te dis : 23h30. Ok, personne ne va écouter ce machin.
Et t'es blasé.
Horaire nocturne ou pas, il te faut néanmoins enregistrer cette magnifique émission pour laquelle le journaliste présente un degré de motivation wallah ma parole ça fait peur. L'ingénieur du son se la radine. Tu lui dis bonjour. Le journaliste te fait les gros yeux du genre « mais pourquoi adressez-vous la parole à ce prolétaire qui je ne saurais voir ? ».
Oulah.
Je suis pas une célébrité mais sortez-moi de là quand même.
L'ingénieur du son se fend d'un grand sourire reconnaissant. Au moins un de content, c'est déjà ça.
Lorsque j'enregistre une émission de radio, je suis généralement incontrôlable, aussi je te passe les détails de mon intervention, qui, cela dit, aura eu le mérite de réveiller les mecs qui s'endorment à 23h30 sur la route, l'autoradio branché sur France Culture. Ce jour-là, combien de vies ai-je sauvées ?
Enfin, je suis désolé, mais quand on me pose des questions cons, je fournis des réponses cons. Le mec a lu le bouquin (ou l'un de ses assistants-stagiaires payés à coups de lance-pierre l'a fait pour lui), les questions restent toutefois débiles. Un peu comme si on demandait à Victor Hugo pour les Misérables : « Alors, Jean Valjean, quel nom étrange ! Où avez-vous trouvé un nom pareil ? » ou « Cosette, c'est un élément autobiographique ? ».
Je te jure, dès qu'on me demande « ceci, cela, c'est autobiographique ? », j'éprouve l'envie morbide de catapulter le type par la fenêtre la plus proche. Il n'y a PAS de question plus débile que « c'est autobiographique ? ». Camarade lecteur, si tu es journaliste, ou si tu veux devenir journaliste, promets-moi de ne JAMAIS demander à un auteur « c'est autobiographique ? ». Ok ? Merci.
Le journaliste n'est pas très content que tu aies répondu connement à ses questions connes (à la fois, que puis-je faire d'autre, au moins suis-je resté poli) et te congédie sans merci ni merde ni au revoir, à la France Culture quoi.
Le soir tu écoutes l'émission, qui a été montée. Les coupes te font passer pour un débile de premier rang - tu passes du coq à l'âne – voire pour quelqu'un de dangereux - tu ricanes bêtement alors que la question porte sur la nécrophilie - bref, super le montage, cool, cimer mon pote.
Oscillant entre le désespoir et le désir de mort, tu t'aventures à chercher le taux d'audience de France Culture, de nuit ou de jour, peu importe. Tu parles de casser la baraque : même OUI FM est plus écoutée en région parisienne. Niveau national, c'est presque pire : les grandes stars France Musique et Virgin Radio éclatent la pauvre radio culturelle dans un gang-bang honteux.
Putain ça te fait une belle jambe tout ça.
Ton éditeur met un lien vers le « podcast » sur son facebook, avant de te passer un mail où il te dit laconiquement :
Pas génial l'émission. Une prochaine fois peut-être.
Ni merci, ni merde, ni au revoir, lui aussi il se le joue à la France Culture, ce con.
Toi, tu ne postes rien sur ton facebook, d'ailleurs tu préfères oublier au plus vite cette expérience traumatisante et tu prends soin de maudire tous les confrères qui t'ont saoulé avec le mythe du france-culage.
Personne ne te parle de l'émission, puisque personne ne l'a écoutée. Ça fera bien sur ton CV, et encore. Voilà, tu n'as pas de lauriers, tu n'as rien gagné, tu ne vendras pas plus de livres.
Tu t'es tout simplement bien fait france-culer.
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