Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
Parfois, il me faut être honnête avec toi, camarade lecteur.
J'ai le sentiment d'être un imposteur. Par rapport aux lecteurs de mon blog. Par rapport à toi.
Parce que je réponds à vos questions sur l'édition, l'écriture, et tente, autant que faire se peut, de vous donner des conseils. Souvent, vous en êtes très émus et me remerciez chaleureusement. Pourquoi ? Parce que vous êtes désespérés, parce que vous ne compreniez plus rien, parce vous étiez perdus, hagards, découragés – que sais-je encore... Et ma réponse, plus ou moins pertinente, a été, dans ces dispositions qui étaient les vôtres, un « mieux que rien ».
Eh bien, je te l'avoue, lecteur, moi aussi, des fois, je suis désespéré.
Perdu. Dans l'incompréhension. L'abattement.
L'abandon me tente.
Abandonner quoi ? Quand ?
Il y a une semaine environ, j'expliquais que je me prenais des vacances d'écriture : bref, je quittais définitivement mon traitement de texte.
Je crois que c'est une bonne initiative et que, fondamentalement, j'en ai besoin. Ça fait des années que j'enchaîne les heures de boulot, sans presque aucune pause. Je suis vidé.
Le problème (car il y a toujours un problème), c'est que, du coup, j'ai la disponibilité intellectuelle pour faire un bilan. Ou une rétrospective. Et la disponibilité intellectuelle pour envisager l'avenir, l'année qui s'annonce.
Et là, tout s'effondre.
J'ai passé un début d'année 2011 difficile. Je me suis engagé dans une collaboration qui se déroule assez mal (j'ai écrit une chanson explicite à ce sujet). En toute sincérité, ça pourrait se dérouler encore plus mal. Mais, il faut voir les choses en face, ce n'est pas la panacée non plus.
Ok, ce n'est jamais la panacée. J'ai parlé à des tas d'auteurs, j'en connais intimement pas mal aussi, et personne ne m'a jamais dit « je suis totalement satisfait de mon éditeur ». Au contraire, tous m'ont dit « voyons, la totalité des éditeurs sont chiants et emmerdants ». J'ai entendu des anecdotes à peine croyables. J'ai été bluffé par l'irrespect paroxystique avec lequel des auteurs autrement plus âgés et confirmés que moi ont été, quelques fois, traités.
D'accord. J'en suis conscient. Mais j'ai franchement du mal à relativiser, quand c'est moi, mon œuvre et mon amour-propre qui sommes attaqués.
Une voix dit dans ma tête « on attaque pas un prolétaire ». Jamais. Pas moi. Les autres, pourquoi pas ? Mais pas moi. Je jouis d'une légitimité de classe qui devrait me rendre intouchable, dans le monde de la littérature. Hé les gars, je suis un pauvre. Vous jouez pas à ce petit jeu-là avec moi, c'est bien clair ?
Bien sûr, je sais que cette façon de penser n'est pas rationnelle, d'ailleurs je ne la cautionne pas vraiment, mais voilà, elle est présente en moi.
Je suis en colère, depuis des mois et des mois.
Je regrette profondément d'avoir signé avec cet éditeur, alors que j'aurais pu aller ailleurs et que je n'ai même pas essayé. Pourquoi ? Par flemme. Parce que c'est chiant, de chercher ailleurs. Là, j'avais un oui quasiment gagné d'avance, un à-valoir tout à fait honorable. J'ai vu le fric, la facilité, et le croyais-je, un minimum de respect : je me suis engouffré dans la brèche.
Je m'en veux de cette faiblesse.
C'est ensuite que les choses se sont compliquées...
Une collaboration avec un éditeur, c'est comme un mariage. C'est une fois le livret de famille délivré en bonne et due forme que le conjoint révèle tous ses mauvais côtés.
J'ai vraiment fait tout ce que j'ai pu pour calmer le jeu. Rétablir une relation de confiance – un minimum. Surtout, par conscience de classe, je suis resté, infailliblement, professionnel. Je n'ai jamais insulté personne, j'ai toujours rempli ma part du travail. J'ai même donné bien davantage que ma propre part du travail. J'ai dû suppléer à l'incompétence des autres. J'ai tâché de rester calme.
J'ai aussi agi dans ce sens pour mon livre. Je voulais le préserver.
Bon, ok, j'ai glissé quelques coups de pute par derrière. J'ai peut-être fait une publicité horrible à cet éditeur, dans le milieu, moins par souci de prévenir les autres que pour satisfaire mon besoin de revanche personnel.
N'empêche. J'ai le droit de discuter avec mes confrères et de me plaindre.
N'empêche. J'ai vraiment pris sur moi, d'un point de vue travail et relations professionnelles.
A côté de ça, dans la même période, mon ego en a pris un sacré coup en raison d'une rivalité, que je me suis inventé tout seul, avec un autre auteur.
Je sais c'est naze.
Mais je n'aimais pas cet auteur et il m'a proprement doublé, en terme de ventes. Je ne m'y attendais pas. Je n'aurais pas dû m'en préoccuper. Mais je suis venu à le savoir, et ça m'a fait très très très très mal.
J'avais déjà parlé de ce phénomène sur ce blog.
Le plus pathétique, c'est que d'un point de vue critique, d'un point de vue purement littéraire, je sais très bien que, cette personne et moi, nous ne jouons pas du tout dans la même division. Mais je ne l'ai pas digéré.
Et de cet orgueil complètement déplacé, je n'en suis pas fier, camarade lecteur.
Bref, en résumé, en conclusion, j'ai l'impression de m'en être pris plein la gueule tout l'année, et que ça ne fait que commencer...
Je voudrais pouvoir me sortir de là. Je le veux vraiment. Et pour me sortir de là, il faut que j'écrive un autre roman, que je me plonge dans mon univers à moi, que je sorte du réel, et qu'une fois le livre achevé, j'entame une autre collaboration, avec un autre éditeur, une autre histoire (qui s'avérera probablement tout aussi chiante ou catastrophique que les précédentes, mais peu importe...).
Pour l'instant, je n'ai pas assez d'idées et je suis en vacances.
Je me demande quelle sorte de personne je suis devenu. Je suis gêné à cette idée.
J'ai toujours voulu raconter des histoires. Pas forcément écrire, mais, c'est bien ça, raconter des histoires. Quand j'étais petit, je ne savais pas quel média je choisirais : le roman, la bande dessinée, le dessin, la musique, le cinéma, etc. Mais je savais très bien que c'était ma vocation, que je n'étais bon qu'à ça.
Je suis devenu ado et j'ai compris que je devais écrire, parce que c'était le moins coûteux et que je me débrouillais pas mal.
J'étais conscient que ce serait difficile. Comme tout le monde, je m'étais renseigné sur l'édition et j'avais cru entendre que c'était une putain de loterie (et ça l'est).
Je n'y croyais pas trop. Je m'étais dit, inconsciemment, que si je ne réussissais pas, je ferais autre chose. Je me voyais bien me lancer dans la politique, ou dans une sorte de foyer pour animaux errants dans un autre pays (avec un tas de bénévoles sympas qui auraient formé une petite famille).
Sauf que je savais que je réussirais. Il n'y avait pas d'autres possibilités.
Je me souviens, à l'époque (j'avais vingt ans environ), je ne demandais pas beaucoup. Pas forcément un grand éditeur, mais juste un minimum de lecteurs pour que je puisse tisser mon œuvre, petit à petit, humblement, au fur et à mesure des nouveaux livres...
J'étais certain que je ne me laisserais pas avoir par les mondanités et les joutes d'ego...
Ah putain...
Et me voilà distribué dans toute la France, fort de ma petite réputation et de mon lectorat.
A moins de trente ans ! Me voilà complètement immergé dans ces conneries de « milieu », avec ma saloperie de carnet d'adresses que j'entretiens scrupuleusement. Me voilà qui perds de l'énergie à m'offenser des comportements d'un éditeur, qui le prends personnellement, me voilà qui m'attarde sur les ventes des autres et dresse des comparaisons.
Je ne voulais pas être comme ça. Je ne voulais pas gaspiller du temps pour ces conneries-là.
Bien sûr, il y a des jours où tout ce paquet de merde est important, d'autres où il ne rime à rien. Il y a des jours où l'on ne pense qu'au plaisir d'écrire. Il y a des jours où l'on reçoit le message d'un lecteur qui nous dit « j'attends votre prochain roman avec impatience », et voilà, ça suffit à éclairer toute notre existence, ça suffit à effacer, pour un bon moment, les déceptions, les amertumes et les jalousies stériles.
Et puis il y a les autres jours.
Hier je regardais l'Après Tour (l'émission qui suit l'arrivée de l'étape du Tour de France du jour). Gérard Holtz interviewait Mark Cavendish et lui demandait si les nombreuses critiques dont il est l'objet parmi les coureurs l'affectaient – le type a en effet une putain de réputation de merde. Cavendish a prétendu qu'il s'y était habitué et que non, ça ne le touchait pas. Jalabert a ensuite déclaré « il est insensible aux inimitiés et c'est là la marque des grands champions, il faut apprendre à se blinder ».
Ça m'a fait penser à Diogène de Sinope.
Diogène de Sinope était un Grec qui n'avait rien à en branler du mondain. Bien entendu, les gens le méprisaient.
Et écoute ça : « pendant un repas, on lui jeta des os comme à un chien ; alors, s'approchant des convives, il leur pissa dessus comme un chien. »