Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
Une jeune femme s'assoit en face de moi dans le bus. Je la regarde sans la voir, comme on regarde les gens dans le bus. Mais je pense en découvrant son visage : « la pauvre, elle n'est vraiment pas jolie ».
J'ai honte de cette pensée, en apparence incontrôlable, cependant contrôlée, automatisme de robot, automatisme de programmation, conformisme politico-mondain, conformisme petit-bourgeois.
« La pauvre, elle n'est vraiment pas jolie. » Le jugement est opéré. Péremptoire, dur, aiguisé par son aspect condescendant.
La pauvre, elle n'est vraiment pas jolie. Pas jolie, c'est faux. Elle n'est pas gracieuse selon nos critères, mais, tout compte fait, elle est jolie, elle est jeune déjà, elle est plutôt bien proportionnée, un petit corps dodu, cela va bien avec sa tête ronde, elle a l'air joyeux, elle est même heureuse, souriante – alors qu'elle est seule - et je me dis que je pourrais très bien tomber amoureux d'elle. Elle n'est vraiment pas jolie. Elle fait l'amour aussi bien qu'une autre, peut-être mieux encore.
Mais voilà. La pauvre, elle n'est vraiment pas jolie. Les traits ne sont pas particulièrement doux, les sourcils épais, d'accord, mais en quoi ai-je pensé qu'elle n'était vraiment pas jolie ?
Chez moi, nous sommes tous beaux. Je ne sais pas ou je ne sais plus ce que c'est, de ne pas être beau. A dix-huit ans, j'ai été casté pour porter des vêtements sur des photos de mode. En bon connard d'artiste, la thématique m'a toujours intéressé. La beauté. Le beau. Et en bon prétendu marxiste, je sais bien que la beauté est réactionnaire. Mais pour une femme, qu'est-ce que c'est, être beau, être belle ? Et pour un homme, qu'est-ce que c'est une belle femme ? Les femmes fatales m'emmerdent. La façon dont la plupart des hommes parlent des femmes m'emmerde aussi.
La belle, la moche, la grosse, la maigre, leurs corps ne leur appartiennent pas. La pute, le laideron, le cageot, l'anorexique. Corps honteux. Ils appartiennent à l'autre, aux regards, aux évaluations, aux insultes, aux moqueries, à la haine, à la jalousie, au machinal, aux traditions, au mode de production. A qui est ce corps. Ce corps qui aspire, ce corps qui ruisselle. Ce corps qui saigne, mais dont la moitié de l'humanité est promise à ne probablement jamais voir le flux menstruel. Un homme verra de la merde, de la pisse, du sperme, de la salive, du lait, de la sueur, mais il ne doit pas voir la serviette tachée de sang. Il ne doit pas non plus voir la pilosité. Corps secret, corps aux parties interdites. Qui se l'approprie, à qui le prête-t-on, à quoi dois-je le rendre.
Elle n'est vraiment pas jolie. Qui suis-je pour m'approprier son corps par le jugement ? Qui suis-je pour la plaindre ? Je n'ai jamais aimé entendre un homme dire avec assurance « c'était une très belle femme », quand le jugement n'est pas affectueux, ni gentil, mais froid, direct, supérieur, cruellement spontané.
« Elle est pas mal. »
« Elle est mignonne. »
Servitude volontaire.
Un peu décence, putain. Soyons révolutionnaires. Et fermons nos putains de gueules.
Une question ?
Envie de partager ? (ton argent, ton corps... non je déconne)
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