Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
Quand j’étais petit, mon père avait trouvé un très bon moyen de me calmer lorsque je foutais le boxon. Il me disait :
- Si tu continues, je vais t'envoyer en pension en Suisse !
J’avais quoi ? Trois, quatre, cinq ans.
Et j’y croyais.
Je n’avais pas compris qu’il était ironique. Il prononçait cette menace avec tout le sérieux de son autorité paternelle. Vu le ton lugubre, vociférant, qu’il empruntait, j’avais comme une légère tendance à redouter cette perspective.
Dans certains jours audacieux, je lui demandais :
- C’est comment, la pension en Suisse ?
Le regard sombre et légèrement détourné, il répondait :
- Vaut mieux pas que tu le saches.
Mon imagination prenait logiquement le relais – mon imagination a d’ailleurs toujours pris le relais, au point que j’en fasse mon métier.
De la Suisse, je ne savais pas grand-chose à l’époque. Excepté ce que j’avais vu dans les dessins animés – genre les enfants qui couraient parmi les alpages pour aller traire les vaches.
La pension en Suisse, je m’en construisis rapidement toute une représentation mentale. Une immense ferme pénitentiaire, envahie par des milliers de gamins renvoyés par leurs parents. Ces gosses, habillés de sordides bermudas en toile de jute, étaient pour ainsi dire abandonnés à eux-mêmes, sales, la culotte trouée, les pieds nus. La nourriture consistait en une sorte de gruau versé dans des auges autour desquelles les enfants se bagarraient pour puiser une simple bouchée. Le reste de la journée, ils étaient assignés à des tâches agricoles immondes. En petit citadin, je connaissais mal la vie à la campagne, plus mal encore la vie à la ferme, et me figurais qu’on cultivait toujours la terre comme on le faisait au Moyen-Âge. La pension en Suisse occupait les enfants à bêcher d’incommensurables jardins, à faucher des hectares de blé et à conduire des bovins récalcitrants dans des prairies boueuses, cela dans des conditions climatiques extrêmes.
Ma pension en Suisse, c'était à peu près comme ça.
Je ne sais plus après quel forfait mon père s’exclama :
- La pension en Suisse, c’est pour demain !
Ce qui eut pour effet immédiat de me faire filer dans ma chambre. J’étais terrorisé. Puis je repris mes esprits en pensant : ok, la pension en Suisse, cette fois t'y couperas pas, mon sagouin. Maintenant, tu dois juste réfléchir à la meilleure façon de te faire la belle.
Je me promis de bien étudier les lieux une fois arrivé dans la ferme pénitentiaire. Il y aurait forcément une faille. Je dressai l’inventaire de tous les moyens d’évasion que je connaissais. La corde, les draps noués, le travestissement, etc.
Passés mes six ans, je perçus la dimension blagueuse de la pension en Suisse, jusqu’à ne plus lui accorder aucun crédit. N’empêche, je ne voyais toujours pas ce que c’était exactement, cette pension en Suisse. Je questionnais mes amis à l’école, personne n’avait jamais entendu parler d’une pension en Suisse.
Et puis, un jour, j’ai su. Ce qu’était réellement une pension en Suisse. Soit, une école de luxe pour les classes très supérieures.
Je fus muettement consterné.
C’est comme si toute ma petite enfance, mon père m’avait dit « si tu continues, je t'expédie sur la lune en Roll’s Royce ! » et que j’y avais cru. Autant trembler à l’idée de toucher un million d’euros… cela n’avait pas la moindre chance de se produire.
Le truc le pire qui aurait pu m'arriver dans une vraie pension en Suisse
c'était de m'acoquiner avec les Strokes.
D’ailleurs, avec le recul de l’âge adulte, je trouve cette histoire de pension en Suisse assez cynique de la part de mon père, surtout quand on sait à quel point nous étions pauvres.
Toi aussi ton père t'a traumatisé avec la pension en Suisse ?
Alors rejoins ton ami Stoni