Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
Ô cher camarade lecteur de cet humble blog ! Rappelle-toi ce beau jour où je postai l'article culte "comment repérer un éditeur pourri".
Dans ce billet ma foi fort croustillant, je vous expliquai la différence entre un vrai éditeur (qui certes peut être un gros connard, mais qui vendra un minimum de livres) et un éditeur pourri (qui ne vendra pas de livres du tout).
Mieux vaut lire cette archive brûlante pour saisir toute la subtilité de ce qui va suivre.
Eh bien, crois-le ou non mon cher lecteur, de "petits éditeurs" se sont sentis visés par ce billet ! Dont un en particulier, lequel m'a envoyé un message pas piqué des hannetons, genre courageux, le mec.
Je ne sais pas si ce type est maso, ou autre.
Mais tu vas voir, c'est goûteux.
J'ai décidé de taire le nom de sa maison d'édition que j'appellerais "les Editions Patate".
Bonjour Stoni
J’ai été très intéressé par votre article « le profil de
l’éditeur pourri », parce qu’il m’a titillé et que j’y ai reconnu quelques-unes des caractéristiques de ma petite « maison d’édition ».
Suis-je pour autant un « éditeur pourri » ?
Parmi vos onze critères, il y en a plusieurs en effet qui me concernent :
1/ c’est vrai, je ne contacte pas mes auteurs par téléphone ; je préfère leur écrire des mails, assez longs et détaillés, parce
que « les paroles s’envolent » et qu’il me reste des traces de ces écrits.
2/ en revanche, dès le début, lorsqu’un manuscrit a été retenu par nos lecteurs (car nous avons vraiment un « comité » de
lecture, qui remplit des fiches de lecture) je préviens du tirage, de la date indicative de parution (à un mois près), des droits d’auteur, etc. J’informe en tout premier lieu l’auteur que nous
sommes un petit éditeur, qui pratique de petits tirages et qui est assez peu diffusé (sur ce point, vous avez raison, bien sûr : la diffusion des ouvrages est LA question centrale de
l’édition).
3/ c’est vrai, je ne verse pas d’à-valoir. Je verse des droits d’auteur (10 à 12%), avec un état des ventes établi tous les six mois, mais pas d’à-valoir. Je pense qu’aujourd'hui, peu de petits éditeurs le font.
4/ en revanche, je suis répertorié sur societe.com et info-greffe (Note Du
Stoni: il me donne le lien vers la fiche infogreffe de sa maison d'édition,
laquelle n'est pas un SARL mais une "affaire personnelle commerçant", personnellement je ne connais pas cette forme juridique mais bon).
5/ mon activité est bien celle d’un « éditeur de livres ».
6/ c’est vrai, je n’ai pas de distributeur-diffuseur.
7/ c’est vrai, à la FNAC (sauf sur le site FNAC.com) ou à la grosse librairie du quartier
(sauf dans certains centres Leclerc et dans certaines grandes librairies, dans le Nord de la France, à Bruxelles ou Genève), en général on ne trouve pas de livres des Editions
Patate.
8/ c’est vrai, votre libraire de quartier ne nous connaît pas.
9/ c’est vrai, je ne rencontre personne dans mes « locaux », car je n’ai pas de « locaux »
destinés à cela.
10/ en revanche, je donne mon numéro fixe, et plusieurs auteurs m’ont appelé pour régler des
détails de publication ou prendre des renseignements, mais je reconnais que c’est exceptionnel.
11/ c’est vrai, notre premier tirage est de l’ordre de 300 à 500 ex, mais jamais plus. Nous
réalisons ensuite des tirages complémentaires, selon le volume des ventes.
Est-ce que tous ces défauts font de moi un « pourri » ? Je ne pense pas, mais cela, bien sûr,
dépend des critères.
Je m’efforce, avec ma petite équipe (un animateur du « comité » de lecture, une quinzaine de
« Lecteurs », un conseiller-correcteur, un graphiste, un webmaster) de donner TOUJOURS une réponse argumentée à chaque auteur concernant son manuscrit. Nous nous efforçons de respecter les
auteurs, et toutes les personnes qui ont été en contact avec nous peuvent en témoigner.
Depuis le début de notre activité, nous avons reçu plus de 1500 manuscrits, et nous en avons
publié une vingtaine seulement. Nous mettons un point d’honneur à lire les manuscrits, et pas seulement deux lignes au milieu, et à répondre aux auteurs. Nous avons d’ailleurs une bonne
réputation (voir les différents forums Internet qui parlent de nous), et de nombreux auteurs aimeraient être publiés chez nous.
Concernant le manuscrit lui-même, j’ai beaucoup apprécié les conseils que vous donnez sur la langue, la grammaire, etc. et je partage
vos vues. Toutefois, il nous est arrivé, à deux ou trois reprises, de faire une chose qui vous étonnerait : nous avons retenu des manuscrits mal écrits, mais qui avaient à nos yeux de la valeur,
qui racontaient une histoire intéressante ou émouvante, ou les deux. Nous avons alors fait travailler notre correcteur, qui est un excellent professionnel, et qui a su produire un beau texte à
partir d’un manuscrit parfois très bancal. Bien sûr, cela se fait en accord complet avec l’auteur, progressivement et par « lots » de pages, car c’est un énorme travail, et cela reste malgré tout
plutôt rare.
Nous avons des auteurs heureux, dont la très grande majorité ont vendu plusieurs centaines
d’exemplaires – comme vous devez le savoir, car vous connaissez bien le monde de l’édition, certains auteurs publiés par Gallimard se vendent très mal et n’ont pas la chance de vendre mille ou
cinq cents ou même cent exemplaires de leur prose…
Est-ce que tout cela fait de nous un « pourri » ?
Je suppose que vous êtes très occupé, mais j’aimerais avoir votre avis sur notre « cas »,
peut-être un peu particulier. Merci par avance pour votre réponse, si vous avez un peu de temps.
Bien cordialement,
Monsieur Patato, Editions Patate
Bon, alors moi, quand j'ai reçu ce message de Monsieur Patato, j'étais bien emmerdé. Je me suis dit "oh le pauvre, il y croit à son truc, ça fait meskin".
Je ne savais pas trop comment lui répondre, et j'ai envoyé ça.
Mon bien cher Monsieur,
Votre message est, ma foi, un peu ardu à répondre. Vous avez votre opinion sur la situation de votre maison d'édition : elle n'est pas pourrie. D'autre part, vous avez compris la mienne : l'exact opposé. En effet, je ne conseille pas aux auteurs de signer chez quelqu'un comme vous. Vous me demandez, en fin de votre message, mon avis sur votre cas. Que voulez-vous que je vous dise de plus ?
Vous ne donnez pas d'à-valoir, vous n'avez aucune structure de distribution-diffusion valable, vous n'avez pas de locaux. Vous n'existez pas dans le monde de l'édition française.
En tant qu'auteur, je n'accepterais jamais un contrat chez vous – d'ailleurs, je ne vous aurais pas sollicité, y compris (et surtout !) pour un premier roman. Je ne conseillerais à personne de signer pareille chose.
J'ai déjà exposé tous les arguments qui m'engagent à me prononcer de la sorte dans mon article sur le profil de l'éditeur pourri. Pourquoi les
ressasser ici ? A quoi bon ?
Je ne suis pas davantage versé dans le sadisme. Vous m'embarrassez.
Comme beaucoup d'autres, vous souhaitez être éditeur sans investir de l'argent. C'est quand même dingue, ça !
Quand on devient entrepreneur, on investit, on emprunte... et on rémunère ses salariés !
Vous rendez-vous compte que 1500 € d'à-valoir, ce n'est même pas ce que vous coûterait un salarié à temps plein pour trente jours de travail au SMIC ? Le réalisez-vous ?
C'est fou, tout de même, ces patrons qui veulent que l'on travaille gratuitement pour eux !
Car un écrivain est un travailleur, un livre est un produit fini, et un éditeur est un patron !
Vous êtes un peu tels ces jeunes auteurs qui décident "d'être édités" sans même maîtriser au préalable la base du média qu'ils ont choisi pour s'exprimer : la langue française.
Vous, vous voulez être éditeur, être patron, sans dépenser un sou pour la distribution, sans payer convenablement les gens.
Je vous invite à relire la parabole du boulanger dans ce fameux article que, pourtant, vous semblez avoir disséqué à la loupe...
Je l'ai écrit et réécrit sur ce blog. Si l'auteur a comme seule ambition de se faire éditer pour un tout petit circuit, de vendre son livre à sa famille et à ses amis, alors un éditeur comme vous, pourquoi pas ? Bien que, à ces gens-là, je préfère encore conseiller l'auto-édition...
En revanche, un auteur qui souhaite entamer un début de semblant de carrière dans l'édition française, qui veut un peu être "écrivain", qui souhaite exister un minimum dans le monde de lettres, n'a rien à faire avec des gens comme vous !
Et nombre de ces jeunes auteurs-là, inexpérimentés, mal informés sur l'édition, qui ne comprennent rien à l'industrie du livre, finiront par céder les droits de leur oeuvre à une maison d'édition comme la vôtre.
Le rôle de mon article est de les prévenir de l'immonde déception qui les étreindra en découvrant qu'ils n'auront vendu que 50 exemplaires à leurs proches, à leurs amis...
Je suis navré si ce que vous avez lu sur mon blog vous a, possiblement, blessé. Nombre d'auteurs me contactent pour me raconter l'horrible déception qu'ils ont vécue en collaborant avec un éditeur fantôme. Ils me demandent souvent comment ne pas réitérer ce genre d'erreur à l'avenir. J'ai écrit ce dossier "spécial éditeur pourri" pour répondre à tous ces gens. Voilà tout.
Croyez-moi bien
Votre fraternel
Stoni
Et là, le type en remet une couche. Obstiné, genre.
Cher Monsieur
Je vous remercie pour votre réponse, et surtout pour avoir pris le temps de me répondre.
Sur le fond, sur ce que doit être un « vrai » éditeur, avec à-valoir, large distribution, locaux, etc. je suis d’accord avec vous et je ne discuterai pas sur ces points.
C’est juste le qualificatif de « pourri » que je trouve excessif. J’ai peu de moyens, je sais que je n’existe pas dans le paysage éditorial français, etc, mais j’essaie de faire honnêtement mon
travail. J’annonce clairement la couleur sur mon site (Note Du Stoni : je suis allé voir son site, je n'y ai vu aucun message de
"prévention"), je préviens immédiatement chaque auteur que je suis un « petit » éditeur, avec de petits tirages et une faible diffusion, je les informe immédiatement de là où ils
mettent les pieds…
Je fais ce « travail », qui n’en est pas un pour moi, par passion pour la littérature, pour la qualité des textes, pour les relations avec les auteurs, et non pour gagner de l’argent car, comme
vous vous en doutez certainement, même avec de petits tirages et une faible diffusion, globalement, de l’argent je n’en gagne pas mais j’en perds…
Mais je n’ai pas à me justifier de la manière dont je travaille, c’est sans grande importance. Le vrai problème, dans le fond, est celui du fonctionnement actuel de l’édition et de la manière
dont les manuscrits (dont certains sont, parfois, vraiment « bons ») deviennent des livres en librairie.
C’est ce que vous racontez dans votre article sur le destin
d’un manuscrit. Ce fonctionnement n’est pas normal ; un « bon » manuscrit, écrit par un inconnu, arrivé par la poste ou déposé dans les locaux de l’éditeur, a très peu de chances d’être lu –
et donc d’être publié. C’est seulement un « coup de chance » s’il parvient au comité de lecture, et s’il est vraiment lu, ne serait-ce que partiellement.
C’est contre ça que j’essaie de me battre, à mon petit niveau. Depuis que nous existons, nous avons reçu plus de 1500 manuscrits, et nous en avons publié seulement une vingtaine. Pour les
manuscrits que nous n’avons pas publiés, nous avons répondu de manière argumentée à quasiment tous les auteurs (ce qui prend du temps, croyez-moi !), soit en les conseillant sur leur écriture,
soit en les guidant vers d’autres éditeurs. A plusieurs reprises (encore tout récemment), nous avons reçu de très bons manuscrits, que nous avons décidé de ne pas publier car nous pensions que
nous ne les « méritions » pas. Nous avons orienté ces auteurs vers de plus grands éditeurs, plus largement diffusés. C’est peut-être dans ce travail de conseil, davantage que dans l’édition
elle-même, que je trouve la plus « noble » justification de ce que je fais.
Voilà ce que je voulais dire, en peu de mots. Je trouve que vos articles sont salutaires, en poursuivant, avec une autre orientation sans doute, le travail commencé il y a quelques années par le
CALCRE. Plusieurs de mes auteurs vous connaissent et vous apprécient, même si vos jugements sont parfois « à l’emporte-pièce »…
Bien fraternellement,
Monsieur Patato.
Ce à quoi j'ai répondu :
Monsieur,
Je ne suis pas d’accord avec la conclusion que vous tirez de mon article « l’aventure de ton manuscrit
dans une maison d’édition… », qui décrit la façon dont sont traités les textes reçus chez un éditeur.
Je n’ai pas écrit, dans cet article ou ailleurs, qu’un manuscrit « avait très peu de chances d’être lu » (je me permets de reprendre vos termes). J’ai écrit qu’un manuscrit a
très peu de chances de correspondre exactement, à cent pour cent, aux critères éditoriaux de
telle collection, de telle maison. J’ai expliqué comment les choses se passent. Froidement. Simplement.
J’ai moi-même été édité en envoyant mon manuscrit par la poste. Je ne connaissais personne dans le milieu. Je suis ouvrier. Je n'ai pas fait d'études. Je ne suis "personne".
Je connais d’autres auteurs – dont certains lisent mon blog – qui ont également obtenu leur premier contrat d’édition sans « connaître ni être personne ».
J’ai écrit, et réécrit, sur mon blog que « seul le manuscrit compte ».
Rien d’autre ne compte.
Le problème ne réside nullement dans la façon dont les éditeurs lisent les manuscrits. Si j’étais eux, je procéderais de la même manière. Le problème c’est qu’il y a trop de manuscrits.
Un grand éditeur reçoit des milliers de textes par an. Comment voulez-vous qu’il les lise de la première à la dernière page ? Cela lui est tout simplement impossible.
Pourtant, dans cette moisson de romans, il en publiera peut-être un ou deux.
Votre volonté de lire tous les manuscrits et de conseiller les auteurs est certes louable.
Mais est-ce le rôle d’un éditeur ? Ce n’est pas mon avis.
Un éditeur est un entrepreneur, ou un « manager », qui a pour mission de publier des livres. Il cherche une certaine matière première. Il n’est pas là pour conseiller les auteurs qui sont
incapables de lui livrer cette dite matière première.
Pour ma part, je me suis toujours fichu des refus argumentés. A quoi bon ? Ce que je cherche, c’est un contrat. Si mon écriture ne correspond pas à un éditeur, il n’a qu’à me dire non. J’irai
alors chercher ailleurs. Je n’ai pas de temps à perdre.
Croyez-moi, les éditeurs (indépendants, grands, petits…) qui ont néanmoins trouvé de grandes qualités à un manuscrit le feront probablement savoir à l’auteur. Cela se passe, parfois.
Votre « mission » altruiste est plus celle d’un conseiller en écriture que celle d’un éditeur. Si vous souhaitez aider les auteurs à améliorer leur style, il serait plus judicieux d’ouvrir un
blog dévoué à cet effet, ou de fonder une association qui proposerait des services (j’espère gratuits…) de lecture et de conseil.
Une maison d’édition a pour but de vendre des livres. Il s’agit d’un service marchand. Pas d’une œuvre caritative.
Mes jugements vous semblent peut-être à l’emporte-pièce.
Tout ce que je puis vous répondre, c’est que, sur l’édition, je sais de quoi je parle.
C’est là tout mon drame, d’ailleurs. Mais on se choisit la carrière que l’on mérite, je suppose.
Bien à vous,
Stoni 1983
Le mec ne m'a plus répondu. Et pourtant, le pire, c'est que c'est à suivre...
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que "ses jugements sont à l'emporte-pièce"
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