Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
J’ai un ami qui m’agace. Rarement, très rarement, il a une journée où il se réincarne en un être agréable, une véritable crème, une journée où il est là pour me remonter le moral, où nous arrivons à nous marrer, simplement, tout simplement.
Le reste du temps, il m’agace. Car, avec lui, rien n’est simple, tout est compliqué.
Au début, il devait se surveiller. Nous sommes devenus amis. Puis, au fil du temps, son auto-vigilance s’est relâchée.
Il est vieux, il écrit. Il a de grandes théories qui ne sont pas idiotes. Si seulement il savait s’en contenter. Mais non. Il a tenté de les faire publier, en vain. Il prétend « qu’il s’en fout », qu’il n’a jamais voulu être édité, mais c’est faux et il essaie encore, à soixante-dix ans. Cet échec d’une vie le rend hargneux. Il est seul, il se rabougrit, lui, lui-même, le sien, sa planète gravite autour de son ego et, quand je le vois faire, je prends peur. Si je devenais comme lui, un jour ?
Il a le défaut des gens intelligents et des poètes : la vanité.
Ce défaut, je peux vous en parler.
Mais tout de même. A ce point, c’est une maladie.
Il a tout vu, tout connu, tout expérimenté. Il monologue. Il parle de lui.
Il m’envoie sa photo dédicacée. Je ne l’ai pas demandée. Je suis censé le remercier. Je lui fais remarquer, prudemment, que je trouve le geste étrange. Il me répond que c’est de l’auto-dérision. C'est faux.
Avec lui, oralement, tout est de l’auto-dérision. Réellement, rien ne l’est.
Il est malade d’être lui-même, malade de n’avoir pas pu rayonner dans le monde des arts, de la culture, de l’université. Au cours de sa vie, il a rencontré telle célébrité, tel comédien, tel poète. A chaque fois, un projet devait se monter, mais la célébrité s’est désistée. Au début, je le croyais. Maintenant, je m’interroge sur sa capacité à imbriquer le faux dans le vrai, l’édulcoration dans l’exagération.
Il me laisse pantois.
Oui, il m’agace. Quand il me parle de philosophie, il part du principe que je ne connais pas les notions et prend soin de les détailler. Parce que je suis ouvrier et que je n’ai pas été à la faculté.
Lui a fait de grandes études.
Il me parle donc de philosophie et précise « arrête-moi si tu ne comprends pas, car, pour un type comme moi, ce cas complexe est d’une simplicité extrême ». Il est sérieux, quand il dit cela. Il a d’ailleurs l’impression d’être gentil.
Il m’énerve.
Les gens qui passent dans sa vie ne s’arrêtent pas. Plusieurs mariages, des femmes, des enfants, des amis, personne n’a demeuré pour témoigner. Il se brouille, il se dispute. Les courageux qui ont l’endurance de le supporter finissent, un par un, par ne plus lui adresser la parole. Bien entendu, il est la victime du complot. Je pourrais lui dire qu’il est difficile à vivre, difficile à apprécier, qu’il ne facilite pas les choses, mais ça ne servirait à rien. La critique lui est insupportable. La seule critique qu’il accepte, c’est celle, fausse et en fin de compte valorisante, qu’il s’adresse à lui-même. Il s’invente des défauts qui sont, pour son rare public, des qualités. La générosité, l’oubli de soi au profit des autres, la gentillesse excessive…
Il a un avis sur tout. Il prêche, il assène, il juge.
Il m’a appelé, plus d’une fois, en étant au bout du rouleau. Rongé par son ambition, rongé par la colère de ne pas avoir été reconnu, rongé par son moi, son surmoi, son ça. Puis, il remonte la pente en s’investissant dans un nouveau projet qui le concerne lui, pas un autre. Il multiplie les tentatives pour être édité. Tout et n’importe quoi. Il me fatigue.
Parfois, il a des éclairs de gentillesse, de sympathie, d’amitié. Je ne le reconnais pas. Ces jours-là, je me dis que je suis dur, qu’il ne mérite pas mon impatience. Et puis, il se dépêche de me faire changer d’avis. J’évite ses coups de téléphone, mais alors, il insiste, il se débrouille pour m’attraper, il m’envoie des photos dédicacées, il persiste…
Il est pourtant intellectuellement brillant, très brillant. Pourquoi tout gâcher ? Pourquoi se montrer si pénible ? Pour cette guerre permanente, idiote, grotesque, contre les autres ?
Il m’effraie. Car je reconnais, chez lui, certains de mes travers. L’égocentrisme, la vanité, la recherche de la reconnaissance, l’arrogance… Je me dis, pour me rassurer, que je ne suis pas de sa classe sociale, que mon appartenance de classe me préservera de finir à sa façon.
Serai-un jour, vieux, seul, abandonné, malade, à râler, à vitupérer, à pérorer, à saouler un pauvre ouvrier de trente ans, qui sera un des derniers à avoir la patience, ou la bêtise, de bien vouloir me supporter ?
Je devrais peut-être le considérer comme un avertissement, ce monsieur.
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