Blog d'un jeune écrivain... en direct depuis les tréfonds de la praxis. Ma vie matérialiste, ma cigarette électronique, du marxisme-léninisme et tous mes malheurs d'auteur publié.
Le livre.
Au début.
Au commencement le livre n’est pas livre, ni encore roman, mais texte.
Un fichier word ouvert. La petite barre noire qui clignote sur la première ligne de la première page. Angoissant, non ? Et puis, je saute deux ou trois ligne et je débute.
J’essaie.
Ce n’est pas facile.
Rien n’est jamais facile.
Les mots. Les prénoms, que l’on n’avait pas prévus, et qu’on cherche, les bras croisés sur le bureau, les joues gonflées, l’œil hagard. Les phrases. Sujet, verbe, complément, parfois subordonnée. Ça paraît con, cet ordre-là. Pourtant, quand je débute le texte, rien n’est plus évident.
Il se déshabille où ? Quand ? Pourquoi ?
Qui est-il. Pourquoi est-il venu à moi. Que puis-je en faire. Puis-je seulement en faire quelque chose…
Je me sens, trop souvent, tous les jours, dépité.
Créer les lieux. Les physiques. Les caractères, les tics de langage et gestuels.
Mon monde n’est pas le monde.
Mon monde est ébauche.
Esquisse.
Je tâtonne.
J’avance. Mal. Je recule.
Fait chier.
Le traitement de texte devient champ de bataille. Moi, retranché derrière mes mains croisées et calées contre mon front. Eux, les personnages, ou leurs ébauches, de l’autre côté de l’écran. Arrogants. Inaccessibles. Hautains. Méprisants. Fuyants.
On s’insulte.
On ne s’aime pas…
S’est-on jamais aimés ?
Je construis des tours en allumettes et bâtis des villes en papier plié. Là-dedans, ils se promènent, impatients… Quand est-ce que ça ressemblera enfin à quelque chose ? Quelle cruauté, de ma part, de les faire évoluer dans un tel taudis. Ils méritent mieux.
Je les comprends.
Mal.
Je voudrais bien les sauter, surtout mes « principaux ».
Ils se refusent.
Je me branle dans mon coin, auteur malheureux, éconduit, qui n’a pas encore été capable de glaner leur acceptation.
Je me branle mentalement, imaginant la suite : quelle histoire je dois construire ?
Bref, je n’écris plus, je réfléchis. Ou j’essaie.
Ces séances masturbatoires m’éloignent d’eux…
J’abandonne.
Je reviens.
J’ouvre le fichier. Je relis. Relis.
Dix pages. Vingt pages.
Ça vaut quand même le coup de continuer.
Je relis pour voir d’où je vais partir, ce que je dois poursuivre, ce que je peux déjà améliorer.
Les mots, les phrases, les lettres sur l’écran, vont s’effacer.
Je hais cette impression du début : voir les lettres. Car, quand je suis lancé dans un roman, que je sais que je vais le finir, je ne vois plus les lettres, je vois les faits, je vois les dialogues, je vois le récit…
En course, exécuter un volte-face.
Revenir en arrière, tout réécrire, tout changer.
Je marche. D’un pas chaotique.
Secoué.
Je voudrais bien qu’on m’aide, mais à ce stade-là, je suis tristement seul. Pas de lecteurs, pas d’amis, pas d’éditeur… Juste le début du texte et, hélas, moi.
Je relis et relis mes dix, vingt, trente pages déjà rédigées.
C’est ma seule piste et personne ne l’aura tracée avant moi.
Les séances de travail sont courtes mais longues.
Voir le nom du fichier dans la liste des derniers ouverts… Ce machinchose.doc, voilà tout ce qui me reste dorénavant. Et il me semble si faible, si défaillant, si friable.
Au duel, à la guerre d’usure, succédera la lune de miel.
Je ne sais pas trop quand au juste.
Je ne me souviens plus, pour mes autres romans… Peut-être quand j’aurai terminé le livre.
Je ne sais pas.
Je ne suis rien.
Je n’ai plus.