Chaque icône a ses iconoclastes, chaque œuvre a ses démolisseurs. Ton ami Stoni se chargera, en ce jour, de critiquer le roman « culte » de Boris Vian tel qu’il se le doit.
Le 24 avril 2013, sortira le film officiel L'Ecume des jours, réalisé par Michel Gondry. Ce qui promet d'être un sommet d'abomination vous servira Romain Duris, Omar Sy et Gad Elmaleh dans LE MÊME FILM. Vous avez peur ? Moi aussi.
Je ne m’adonne pas à cette critique (que) pour le plaisir. Je m’y colle aussi pour vous illustrer quelques faits que je vous rappelle sans cesse par rapport à l’édition.
Eh oui. Pour cette critique qui taille, j’ai relu exprès l’Ecume des jours et y ai puisé sources d’enseignement. Comme quoi, y’a quand même du bon dans ce bouquin.
J’ai essayé de lire pour la première fois l’Ecume des jours à seize ou dix-sept ans. Comme tout le monde disait « ouais c’est génial c’est trop magnifique ». Enfin, quand j’écris « tout le monde », je ne sais pas trop où j’ai récolté ça, vu que les gens lisaient pas trop dans mon entourage. Mais bon.
J’ai emprunté le bouquin au CDI.
Quelle ne fut pas ma consternation.
Je veux dire, ce livre, il ne parle de RIEN. Mais vraiment de rien, quoi. L’histoire n’a ni queue ni tête. Qu’est-ce que j’ai pu me faire chier en lisant ce truc !
Non mais mate le résumé piqué sur Wikipédia (attention, gros spoiler sur un scénario insipide) :
Le roman est centré sur le personnage de Colin, qui « possède une fortune suffisante pour vivre convenablement sans travailler pour les autres » ; un ami nommé Chick, qui ne dispose pas de cette chance, puisque, étant ingénieur, il est très pauvre (contrairement aux ouvriers). Le troisième personnage masculin est le cuisinier de Colin, Nicolas.
Ce dernier va collectionner les aventures tout en restant aveugle face à l'amour d'Isis, une amie d'Alise et Chloé.
Un jour, Chick fait la connaissance d'une fille, Alise, qui est parente de Nicolas. Colin, jaloux, désire lui aussi connaître une fille, et tombe amoureux de Chloé lors d'une fête. Il se marie avec elle et donne une partie de son argent à Chick pour qu’il épouse Alise. Chloé tombe malade : elle a un nénuphar qui pousse dans son poumon droit. Pour la guérir, Colin doit lui acheter des fleurs, l’envoyer à la montagne et ne lui faire boire que deux cuillères d'eau par jour. Quand elle revient, le nénuphar n’est plus là, mais elle ne peut utiliser maintenant qu'un seul poumon. Colin doit chercher un travail pour acheter des fleurs, quand Chloé tombe de nouveau malade, de l’autre poumon.
Leur maison rapetisse progressivement et devient chaque jour plus triste et obscure, malgré les efforts de leur petite souris grise à moustaches noires pour nettoyer les carreaux et laisser passer les rayons de soleil.
Comme Chick aime plus Jean-Sol Partre qu’Alise, celle-ci tue le philosophe avec un arrache-cœur (nom qui sera le titre du roman que Boris Vian publiera ensuite) et brûle les librairies proches de chez elle, mais elle meurt dans les flammes. Pendant ce temps, la police tue Chick parce qu’il ne paye pas ses impôts.
Lorsque Chloé est emportée par la maladie, Colin est ruiné. Comme il ne peut payer le prix fort, les religieux sont irrespectueux lors de l'enterrement. La souris cherche à mourir entre les crocs d'un chat car elle ne supporte plus de voir Colin si triste. Ce dernier semble se laisser mourir de chagrin.
FIN.
Putain mais c’est quoi, ça ? La souris ? Le nénuphar dans le poumon ? Il se fout de notre gueule, ce Boris Vian ?
Le pire, c’est que ça dure plus de deux cents pages, ce machin !
Première illustration des lois de l’édition : quand je vous disais qu’on peut publier tout et n’importe quoi ! Vous ne me croyez jamais, vous me dites : mais non, on ne peut pas publier tout et n’importe quoi, arrête tes conneries, y’a un minimum !
NON. L’Ecume des jours est là exprès pour te le rappeler : on peut vraiment publier nawak. Ce truc n’a aucun sens, c’est chiant, ça n’a aucun intérêt. Et pourtant ça a été édité. Ça a même super bien marché !
D’une, la misogynie du personnage de Chloé.
J’en ai MARRE des personnages féminins qui représentent « la féminité et la beauté ». On s’en bat les couilles, putain. Arrêtez avec vos putains de personnages de femmes fatales, c’est chiant, ça n’amène à rien, ça a déjà été dit et redit des millions de fois, rabâché, reproduit, remâché : STOP ! (cf. le phénomène Brett dans le Soleil se lève aussi d’Hemingway).
Cette pauvre Chloé n’a aucun rôle, aucune consistance, sinon celle d’être « le personnage représentant la féminité et la beauté ». Et dire que des millions de nanas kiffent ce bouquin sexiste…
De deux, le name dropping de Jean-Sol Partre.
Pour ceux qui ne connaissent pas, le name dropping c’est la petite manie qu’ont certains mondains de glisser le nom de leurs connaissances dès que l’occasion se présente, histoire de faire comprendre qu’ils côtoient trop du beau monde, qu’ils sont trop insérés dans le gratin de la littérature, ouah trop cool mon pote.
Ok. Mais on s’en FOUT. On s’en fout que ce putain de Boris Vian était pote avec Sartre et le connaissait trop bien. Désolé mec, mais je m’en tamponne le coquillard. Je m’en fous de Sartre. Je m’en fous total. Le plus consternant reste la soi-disant « critique de la mondanité » que Vian dresserait à travers ce personnage. Putain mec, si tu kiffes pas les mondains N’EN FREQUENTE PAS ! C’est si compliqué que ça ? N’en fréquente pas, comme ça après tu nous feras pas chier avec tes personnages inspirés de philosophes mondains dont j’ai rien à taper, bordel.
De trois, le fait que les personnages sont tous des putains de bourges qui foutent rien.
J’ai vraiment du mal avec les romans où les personnages sont des bourges qui n’ont rien à foutre et qui ne bossent pas. J’avais déjà dû m’encaisser ce truc-là dans Le Soleil se lève aussi. Dans l’Ecume des jours, c’est pareil.
Ne croyez pas que la bourgeoisie des personnages me rebute pour des raisons idéologiques. Non. Ça n’a rien à voir.
La bourgeoisie et l’oisiveté des personnages me rebutent parce que d’un point de vue romanesque, elles n’apportent rien. Les romans à bourges sont généralement des romans où il ne se passe rien (genre Gatsby le Magnifique, une belle purge aussi dans son style). Il existe des exceptions. Chez Proust, y’a beaucoup de bourges – et de nobles – qui foutent rien, mais le mec en profite pour développer une vraie thématique en prenant son temps, c’est un petit malin, le Marcel. Alors que chez Vian, il n’en profite pas, il se vautre dans l’absurde et l’absurde, en littérature, c’est souvent hyper chiant. Très vite, le système devient vicieux et la structure du livre s’embourbe dans une cruelle « répétition du même ».
En gros, l’Ecume des jours est bâti ainsi :
- Nous présentons une nouvelle scène avec des bourges où ils se font chier vu qu’ils n’ont pas besoin de travailler.
Introduction d’un élément absurde (piano à cocktail) pour faire diversion.
- Nous présentons une nouvelle scène avec des bourges où ils se font chier vu qu’ils n’ont pas besoin de travailler.
Introduction d’un élément absurde (nénuphar dans le poumon) pour faire diversion.
- Nous présentons une nouvelle scène avec des bourges où ils se font chier vu qu’ils n’ont pas besoin de travailler.
Introduction d’un élément absurde (petite souris conne qui nettoie les carreaux de la maison) pour faire diversion.
Etc.
De quatre, l’aspect droitiste du personnage de Chick.
Chick est tué par des « policiers parce qu’il n’a pas payé ses impôts ». Aujourd’hui, Boris Vian soutiendrait Jérôme Cahuzac dans sa lutte pour l’évasion fiscale.
De cinq, le rôle politique du personnage de Nicolas.
Vous remarquerez que Nicolas, qui est le seul prolétaire de la bande (il est cuisinier), ne jouit d’aucune intrigue importante dans le livre, bref, il est là uniquement pour rappeler à la bourgeoisie que c’est cool d’avoir des prolétaires à disposition histoire de ne pas travailler. Un figurant idéologique, quoi.
Dans le film de Gondry, ils ont foutu Omar Sy dans ce rôle. Comme ça, c'est clair : les étrangers font la cuisine aux blancs. Quel mauvais goût absolu.
Vous allez découvrir un dialogue bien crado comme plus aucun éditeur n’en accepterait de nos jours.
Il s’agit du dialogue du « piano à cocktail ».
Pour ceux qui ont pas lu le bouquin (quelle chance), je dois un peu situer le contexte.
Dès le début, l’auteur te balance un truc de malade : le piano à cocktail.
Hé, lorsque j’emploie l’expression « un truc de malade », ce n’est pas positif, hein. Au contraire. C’est un truc de malade comme si tu disais « Kev Adams c’est un truc de malade ». Ouais, je sais, je suis dur de comparer ce livre à Kev Adams. Mais il faut se montrer rude parfois.
Donc, pour ceux qui n’ont pas lu : le piano à cocktail.
Voilà la situation initiale du roman.
T'as des bourges qui sont entre eux. Genre normal. Et puis y’a un des bourges qui se met à jouer du piano. Et le piano, en fait, il fait pas de la musique, il fait des cocktails.
Chaque touche correspond à un truc différent : la tranche de citron, le petit zeste de Perrier, ainsi de suite.
L’instrument s’appelle un « pianocktail ».
Tout de suite au début du roman, j’ai trouvé ça osé, tout de même. Il s’agit d’un des passages les plus chiants du livre.
Voici le dialogue en question :
« - Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.
- Il marche ? demanda Chick.
- Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
- Quel est ton principe ? demanda Chick.
- A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Seltz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
- C’est compliqué, dit Chick.
- Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
- C’est merveilleux ! dit Chick.
- Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
- Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.
Chick se mit au piano. A la fin de l’air, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres apparut. Deux d’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mixture appétissante.
- J’ai eu peur, dit Colin. Un moment, tu as fait une fausse note. Heureusement, c’était dans l’harmonie.
- Ça tient compte de l’harmonie ? dit Chick.
- Pas pour tout, dit Colin. Ce serait trop compliqué. Il y a quelques servitudes seulement. Bois et viens à table. »
Souvenez-vous de mes conseils pour rédiger un beau dialogue...
Deux défaut majeurs dans celui de Vian :
-
les « dit Colin », « dit Chick » SYSTEMATIQUES. C’est horrible. On sait qu’il n’y a que ces deux personnages qui discutent, pas la peine de le remettre à chaque fois.
-
L’enchaînement du dialogue au kilomètre. Aucune aération par un bref retour au récit, les répliques se suivent les unes après les autres, oh, c’est pas une pièce de théâtre bordel !
Que cet exemple vous serve de leçon !
J’arrive ainsi au terme de cette critique qui taille l’Ecume des jours.
En conclusion : si vous êtes maso, lisez ce bouquin.
Sinon, ben, lisez autre chose.
Toi aussi, viens critiquer Stoni