Mes connaissances politico-mondaines (soit, mes connaissances du monde fabuleux de la littérature française) adorent me demander « des nouvelles du Parti ».
Un communiste, c'est tellement rigolo !
Et ils aiment d'autant plus le fait que je sois un « dissident » dans mon groupe politique. Dissident, c'est eux qui emploient ce mot.
Moi, je dis simplement que « je ne suis pas en odeur de sainteté ».
Eux, ils frémissent en imaginant que je puisse être un rebelle. Problème : un communiste est tout sauf un rebelle (dialectiquement parlant, ouais, bon, on s'en fout...).
A chaque fois que je suis présenté à un nouveau personnage politico-mondain-littéraire, on me fait réciter toutes les avanies dont m'ont accablé les camarades.
Alors, je fais ma liste à la Prévert.
Moi, vous savez, je m'en fous.
- Bien sûr, on m'a traité de « stal », mais aussi de pornographe, de provocateur, de contestataire, de gauchiste, de cynique, d'inculte, d'incapable, d'espion...
Celle-là, ils l'adorent : l'espion.
- Vas-y Stoni, raconte pourquoi l'espion !! Dis-lui !
- Ben, ils ont prétendu que j'étais un espion envoyé par une autre section. Une section avec un positionnement politique différent, évidemment. J'aimerais bien avoir une vie aussi trépidante. Ce n'est hélas pas le cas. Bof, je m'en inspirerais pour faire un roman sur un vrai espion communiste...
- Quelle bonne idée ! commente mon éditeur, qui a très envie que je me foute au boulot sur un nouveau roman, un de ces quatre (histoire de pouvoir me dire que c'est de la merde en barre, chacun ses plaisirs).
On m'interroge alors sur les « positionnements politiques » existant au Parti.
Je m'exécute. Autre liste à la Prévet. Les huistes (dits « mutants »), les réformistes, les stals...
- Et toi, t'es dans quel courant ?
- Chez « les stals »...
- Tous ces courants, à mes yeux, c'est autant de petites églises qui défendent leurs dogmes et leurs clergés.
Ils cherchent à vous provoquer, dans ces discussions-là...
Ca tombe comme un flanc, chez moi. Encore une fois, je m'en fous.
- Ben si c'est comme ça que tu le vois...
- Et pourquoi t'es chez « les stals », alors ?
- Parce que je suis ni mutant ni réformiste... Et c'est les moins dingos de tous...
Mon manque d'enthousiasme les laisse pantois.
- Raconte aussi que t'es le seul stal de ta section !
- Mais je suis pas le seul stal de ma section, bordel de prune !
- Mais raconte, quoi ! Quand ils t'ont exclu !
- Non non, je n'ai jamais été exclu... De toute façon, maintenant, ça va être difficile d'exclure quelqu'un.
- Pourquoi ?
Alors je raconte le principe de l'exclusion.
Auparavant, nous avions une nouvelle carte tous les ans. Si l'on était « exclu », on ne vous donnait pas votre carte.
Mais cette année, la carte est prévue à long terme. Mesure d'économie, peut-être. Elle est censée nous suivre pendant une bonne décennie.
- Et tu l'as eue, la carte longue durée ?
- Oui, parce que le camarade qui s'occupait des cartes m'appréciait.
- T'as été exclu, pourtant ? Pas vrai ?
- Tacitement. Exclu tacitement. Ca veut dire que, d'un coup, vous recevez plus la doc, ni les invitations, ni les annonces, ni les coups de téléphone, ni rien. Et que, quand vous vous pointez à la section, on vous appelle « Joseph ».
- Pourquoi « Joseph » ?
- Joseph Staline.
- Aaaaah...
Un silence admirateur s'instaure.
- Ils ont pas été tendres, avec toi, quand même ! Pourquoi tu quittes pas le Parti ?
Cette question-là, on me l'a posée cent fois.
Mes poteaux :
- Qu'est-ce tu fous encore dans ce parti à deux francs, et en plus personne t'aime là-dedans ?
Mes parents :
- Qu'est-ce tu fous encore dans ce parti de vieux stals ? Notre propre fils ? On t'a pas assez fait écouter Jimi Hendrix, bordel de merde ?
Mon frère :
- Mais qu'est-ce tu te fais encore chier à faire de la politique ? Merde !
(Mon frère ce traître qui s'est acheté une chapka de l'armée rouge, avec la faucille et le marteau, qui tire profit de toute l'esthétique communiste, mais qui n'est pas encarté – petite précision.)
Ma sœur :
- Mais qu'est-ce tu te prends la tête à être marxiste-léniniste ? Fous le camp de ce parti à la noix !
Aniki :
- Bof, après tout, fais comme tu veux.
Merci Aniki.
Et à chaque fois, je réponds la même chose :
- Ben, je peux pas partir, chuis communiste.
- Mais tu dis toi-même que tu votes pas aux élections !
- Pas quand la ligne présentée par mon parti est réformiste.
- Bon, ça veut dire jamais, ça !
- Ben pas spécialement souvent, non. Enfin, vous savez, moi, les élections...
- Ils t'ont traité de pornographe !
- Ouais, mais bon. Ils sont pas obligés d'aimer ce que j'écris, hein.
- Ils t'ont traité d'inculte !
- Bah, je m'en fous. J'ai rien contre les incultes, moi.
- T'as pas eu envie de les envoyer chier, des fois ?
- Sur le coup, quand on s'accroche, ou quand j'entends des trucs sur moi, j'apprécie pas. C'est normal. Enfin, bon... J'irais pas passer mon week-end avec eux, voilà tout.
- C'est dingue que, malgré tout, tu restes !
- Je reste pourtant communiste, oui... Tu veux que j'aille où ?
- Nulle part.
- Chuis communiste, j'ai ma carte, voilà. Et puis y'a des camarades avec qui je m'entends bien, faut pas tout noircir, non plus.
- Mais t'as pas la haine ???
- Oh non ! Surtout pas !
- C'est vrai ?
- Mais pourquoi la haine ? J'ai pas envie d'avoir la haine, ça va. J'ai envie de rigoler, moi.
- Non mais avoue, des fois, t'es en colère...
- Comme tout le monde. Enfin. Tu passes à autre chose, après.
- Ces types-là, ils t'insultent, et tu t'en fous ?
- C'est du cynisme, suggère un mec.
- Peut-être de la lâcheté, propose un autre.
- Ecoutez, je me prends assez la tête comme ça dans ma vie quotidienne. J'ai pas envie de me mettre en colère contre ces mecs-là. Je m'en fous, d'eux, moi ! Vous voulez que je fasse quoi, de toute façon ? Que je les tue ? Que je me défenestre ? Woula. Merci bien. Je préfère mater un bon film pénard.
- Mais en tant que communiste, tu dois être en colère contre le monde, quand même !
- J'aimerais bien qu'il soit différent.
- Mais tu dois détester les capitalistes !!!
- Non ! Je m'en fous, d'eux. Je veux juste qu'on change le système. Tu sais, ces bonshommes-là... Et puis c'est quoi, un capitaliste ? Ca veut rien dire.
- Stoni, intervient mon éditeur, avoue que tu détestes Sartre et Baudelaire.
- Ouais, enfin bon, je vais pas non plus en faire un ulcère ! C'est bon, je suis passé à autre chose, là. Putain les mecs, l'humour et la poésie sont surdéterminants, quoi.
- Pardon ?
- Faut rigoler, dans la vie. Si tu te marres pas, c'est pas rigolo. Et si c'est pas rigolo, c'est pas marrant... C'est un pote qui m'a appris ça. Un communiste. Vous savez quoi, on est exploités, le crime de l'exploitation de l'homme par l'homme se déroule chaque jour, partout, ok...
- Je t'exploite pas, marmonne mon éditeur en se trémoussant sur son siège.
- C'était un on général... Bon. C'est pas la joie, quoi. Mais si en plus de ça, tu rigoles pas... Putain ! Tu t'en sors jamais.
- Alors, ça te fait rire, ce qui t'arrive dans ton parti ?
- Quitte à faire. Si tu prends pas la chose avec humour, tu te tires une balle. Chuis jeune, encore. Contrairement à ce que certains croient, je suis pas né en 1973.
- Hein ? Qui croit ça ?
- Laisse béton... Enfin, je veux pas mourir maintenant. J'ai encore envie d'essayer de me marrer, merde. Vous savez, quand tu es né pauvre, que t'as toujours été pauvre... t'es pas à une vacherie près.
- T'es résigné, quoi.
- Non, mais tu fais en sorte de ne pas souffrir pour des cons. Règle numéro un.
Mon éditeur me lance un regard contrit.
Je sais pas pourquoi, en ce moment, je l'aime bien.