Une magnifique formule de Trofimov, publiée il y a peu sur son blog, m'a fait re-songer à la vie militante : « Il ne faut pas tant médire du militantisme. Il nous offre des déceptions que rien d'autre ne procure. »
Te dire, ô camarade lecteur, que la phrase est d'une pertinence insigne, c'est encore trop peu.
Re-songeant à ma vie militante, je re-songeai à toutes les joies et les innombrables peines que j'eus affrontées au sein du dernier parti communisant de France.
Et, là-dedans, entre autres, je suis tombé sur la personne du « compagnon de route ».
Qu'est-ce qu'un compagnon de route ? Un compagnon de route c'est un mec qui sympathise avec les idées d'un parti politique, mais qui n'en est pas membre. Depuis longtemps il soutient le parti, peut-être en votant pour lui aux élections, s'y intéresse et, éventuellement, fréquente certains de ses militants. Mais le compagnon de route a choisi de rester indépendant.
Grand bien lui en fasse.
Cela dit, pour avoir été à la pointe de l'arpentage de marchés dominicaux et du boîtage sauvage (distribution de tracts dans les boîtes aux lettres de citoyens innocents), je peux t'assurer que le compagnon de route est, parfois, encore plus chiant que le militant (faut le faire).
Le compagnon de route qu'il est pas trop chiant
Le compagnon de route qu'il est pas trop chiant c'est celui qui a été membre du parti dans sa prime jeunesse mais qui a, depuis, rendu sa carte.
Celui-là te saoule pas trop : il connaît tout ce que tu as vécu. Ton chemin de croix, il l'a déjà tracé. Il compatit, en fait. Bien sûr, tu sais qu'il a raison et que tu aurais tout intérêt à quitter le rafiot politique, toi aussi. Sauf que tu ne le fais pas. Va savoir pourquoi. Peut-être parce qu'on t'a dit un jour : « une fois qu'on entre au PCF, on en sort pas ».
Bref, le compagnon de route ex-camarade tend à se moquer de tes désarrois de militant, parce que, lui, il en est revenu. Cela dit il sera toujours d'un bon conseil et son côté anti-autoritariste est plutôt plaisant (n'importe qui de sensé devient forcément anti-autoritariste, lorsqu'il a pratiqué le militantisme : la démocratie s'arrête aux portes du parti politique, quel qu'il soit...).
Le compagnon de route qu'est chiant
Le compagnon de route qu'est chiant n'a jamais été membre de ton parti politique. Cela dit, il suit la chose depuis le début. En général, il est vachement plus âgé que toi et il commence à te faire la leçon d'histoire, entre l'étal fruits et légumes et la fourgonnette du boucher hallal au marché du coin.
- Même en 1976, je suis resté proche du Parti Communiste !
- Ah oui...
Tu lui as donné un trac sans savoir qu'il était compagnon de route. Putain tu commences à regretter là.
- Et tu sais ce qui s'est passé en 1976, au moins, jeunot ?
Le jeunot c'est toi, évidemment.
- Euh oui je sais, c'est l'abandon de la...
- C'est l'invasion soviétique en Afghanistan ! Vous connaissez pas ça, vous les jeunes !
- Hum...
Sauf que « l'invasion » soviétique c'était en 1979. 1976 c'était l'abandon de la dictature du prolétariat comme modèle de gouvernement.
Faisant fi de sa confusion chronologique, le compagnon de route te saoule pendant une heure. Il est pas méchant, mais il saoule, quoi.
Là-dessus il s'intéresse au tract que tu distribues, quand même. Il se rend compte que dessus il y a la faucille et le marteau. Putain ça lui fait un choc au mec !
- Mais c'est pas un tract officiel, non ?
- Non, c'est avec des copains qu'on l'a fait, on voulait dire que certains militants sont contre le Front de Gauche. Que c'est contesté, quoi.
- Dans un parti politique faut être soudés ! Faut pas vous amuser à faire de la dissidence, comme ça. Bien entendu, vous avez le droit d'avoir vos opinions. Je dis pas ! Mais de là à tracter contre votre propre parti ! Le parti communiste a assez de problèmes, ça suffit, vous trouvez pas ?
Ben non, à vrai dire, je trouve pas.
C'est ça le gros souci avec les compagnons de route qui sont chiants. C'est qu'ils n'ont jamais foutu les pieds dans un parti et qu'ils te donnent des leçons de morale. Putain mec, vas-y juste six mois, dans un parti, militer pour de vrai et tout. Moi je ne te parle pas des petites réunions toasts pinard avec les huiles du conseil départemental. Non, moi je te parle du travail de la base, de traîner tes putains de baskets dans les marchés, dans les rues, à coller des affiches, à aller aux réunions de cellules et toutes ces conneries. Ben on verra, après, si t'as pas envie de distribuer des tracts qui critiquent les orientations « majoritaires » de ton propre parti.
- Je tracte pas contre mon propre parti, au contraire. Je dis qu'il y a encore des gens lucides dans mon parti.
- Mais tu donnes une mauvaise image de la direction du Parti. Tu les fais passer pour des guignols. Ou des staliniens.
- Mais ce sont des staliniens, par la méthode, tout en étant réformistes par l'idéologie. Super mélange.
- Alors, si t'es pas content, change de parti !
Là t'as envie de lui rétorquer : alors, si c'est si bien que ça, va au Parti !
- Hé, si j'ai envie de rester dans mon parti, je fais ce que je veux monsieur. Quand même. Je suis désolé, mais dans ce tract on dit simplement la vérité. Qu'on a jamais été consultés sur le Front de Gauche, nous les militants communistes. Vous ne le savez peut-être pas, puisque vous n'êtes pas au Parti...
Le compagnon de route a raison, de toute manière. T'auras beau argumenter... Il est plus âgé que toi et il en a vu des vertes et des pas mûres.
Ok, mais il n'a pas vu la réalité. La réalité c'est s'encarter à vingt ans et des poussières, se faire presser comme un citron, se faire exploiter et insulter comme une merde, se faire traiter de sale stalinien et se faire jeter comme une putain de vieille chaussette (rouge, la chaussette).
Pour ça, le compagnon de route ancien militant est cool. Il comprend.
Et il part d'un grand éclat de rire quand tu lui soutiens que tu ne rendras jamais ta carte – enfin, du moins, que tu espères que tu ne rendras jamais ta carte.
Il a pas tort. Y'a franchement de quoi se marrer.
Dialectique. Hyperréalisme radical. N'oublie jamais d'analyser le monde à la hauteur de ta lunette de chiottes.