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6 novembre 2011 7 06 /11 /novembre /2011 14:21

 

 


 

 

Je suis un auteur édité. Je raconte mes soucis, pérégrinations, désolations et rares félicités d'auteur édité dans les articles de la catégorie de mon blog « ma vie de caca écrivain ». Camarade lecteur, si tu me lis depuis longtemps, tu dois le savoir – et si tu es un petit nouveau, tu le découvriras bien vite – ces articles ne dressent pas un portrait très flatteur de l'expérience d'un auteur édité.

 

Je crois que, quelque part, c'était un peu la vocation de mon blog depuis le début. Donner à voir un aspect, peut-être biaisé, mais un aspect tout de même, de la réalité d'être écrivain.

 

Dans les commentaires de mon précédent article, où je relativisais l'impact de la présence de ton bouquin sur une table de nouveautés à la Fnac, Ludovic, un lecteur, m'a posé la question :

 

« Alors, qu'est-ce qui est intéressant, à être édité ? Pas le pognon, puisque seuls quelques grands veinards vivent de leurs écrits. Alors ? La célébrité ? Voir son bouquin sur la table à la FNAC ? Une certaine reconnaissance, dans le "milieu" ? Ou, plus simplement, la satisfaction de se dire "je l'ai fait" ? »

 

 

Je répondrai à cette question en deux temps.





Premier temps : le dépucelage du ou des premiers romans.



C'est vrai. Nombre de mes articles sur l'édition sont plus ou moins négatifs.

Seulement, quand on édite son premier livre, eh bien, on a encore le droit de se faire des illusions.



Ce fut mon cas. J'étais pourtant (et je suis toujours) « coaché » par un malin et diablement subtil conseiller occulte – un ancien éditeur. Donc, j'étais préparé.

Mais, malgré tout.

L'espoir est humain.



J'écrivais des romans. J'avais envoyé mes manuscrits. Et puis, mon histoire a été acceptée. Alors, je suis rentré dans le métier.



La première fois, on a beau prévoire le pire, on a aucune idée de ce qui nous attend.

Parce que, malgré tout, on est heureux.

Et c'est bien normal.



Dans mon cas, le premier roman ne s'était pas trop mal passé. J'avais été remarqué, ce qui était déjà, en soi, un exploit. J'en garde d'assez bons souvenirs.

J'étais reconnaissant. Envers mon éditeur, envers la profession en général. Je me disais que j'avais eu de la chance. J'avais l'impression de vivre quelque chose qui sortait de l'ordinaire.

Je découvrais tout cela.

 

J'ai alors aimé être écrivain. Les avantages passaient largement devant les inconvénients. Je ne me souciais pas ou peu du mépris. Je ne me souciais pas ou peu de mes ventes, de la presse, des rumeurs, des inimitiés. Je n'avais pas de disponibilité intellectuelle pour cela. J'étais tout à mon roman. Il y a des choses qui m'ont vexé, bien sûr. Mais, globalement, je vivais un kiff ultime : éprouver la transformation du roman en une chose qui « vit ».

 

Seulement, ensuite, je me suis habitué. A être un auteur.

Et j'ai entrepris d'être plus exigeant. De déceler tous les aspects négatifs. Quand on s'installe à l'étranger, c'est un peu pareil. Au début, on ne voit que les bons côtés. Et puis, au fil des mois et des années, la patrie, la vraie, manque. On voit beaucoup plus les défauts des autochtones, on veut rentrer chez soi, etc.

 

Ben quand t'écris c'est pareil : tu te lances là-dedans, tu fais ton trou, et puis tu te rends compte que, bon, y'a aussi des trucs chiants, quoi.

 

 

 

Deuxième temps : quand l'origami s'envole

 

Passons le cap du premier roman. L'auteur est désormais dépucelé. Il a bouffé toute la merde qu'on devait lui faire bouffer, il sait à quoi s'attendre.

 

Pourquoi continue-t-il à éditer (dans le cas de figure où il continue effectivement, car nombreux sont les désistements de début de carrière...) ?

 

L'argent joue, quoi qu'on en dise, un petit rôle de moteur. Un petit, hein. Mais, quand bien même les sommes sont ridicules (comptez, dans les cas les plus fréquents, entre mille et cinq mille euros par bouquin), ça fait toujours réfléchir. On se dit « ouais, si j'écris un truc, je pourrais peut-être me payer telle bagnole, telle moto, tel bidule».

Quant à moi, j'avoue que ce n'est pas un élément négligeable.

 

Mais bon. Je suis honnête : sachant toutes les merdes qu'on se tape avant et après l'encaissement du chèque d'à-valoir, euh, une motivation autrement plus grande entre en jeu.

 

Je ne dirais pas celle du plaisir d'écrire.

Elle n'est pas spécifique à l'auteur édité. Quand je n'étais pas édité, j'avais déjà le plaisir d'écrire.

 

C'est celle de l'envol de l'origami.

 

J'avais déjà utilisé la « parabole » de l'origami dans un article pas très joyeux non plus.

Origami, tigre de papier... Le roman c'est imiter la vie et faire croire qu'elle est vraie. Chose de papier, le roman simule, imite. Il est à la véritable « histoire » (l'expérience d'une vie, d'un homme, d'un peuple, etc.) ce que la cocotte en papier est à la poule en chair et en os.

 

L'auteur qui n'est pas édité sait plier l'origami. Il en connait les plaisirs et les souffrances.

 

Or, l'auteur édité voit son origami s'envoler.

Et ça c'est bon. C'est très très bon.

On confie l'histoire au monde. Au petit monde – car, même pour un Goncourt, que sont cinq cent mille lecteurs sur les sept milliards d'êtres humains ?

On le confie quand même.

 

L'origami part.

Bien qu'elle soit émaillée d'une pléthore de déceptions et d'obstacles, la période de la préparation éditoriale est un joli moment à vivre (sauf exception, on s'en doute). J'ai confié mon tigre de papier à des gens. Pour le meilleur ou pour le pire. Mais ça, je ne le sais pas encore.

Les gens examinent mon tigre de papier. Ils me disent qu'il est réaliste. Nous discutons beaucoup du tigre de papier. Les noms, personnages, lieux, actions, dont il est composé sont évoqués, articulés, prononcés par d'autres personnes.

 

Je le peaufine. Je m'occupe bien de lui.

Je suis fier de lui.

Je ressens beaucoup de peur pour lui. Peur qu'on s'en occupe mal. Peur qu'on ne le juge pas à sa juste valeur.

Lui s'en fiche.

 

Ce qui avait été silence, pendant tous ces mois de travail en solitaire, devient bruit. Négociation. Visuel. Argent. Communication. Etc. Etc.

 

Et puis l'origami est reproduit en milliers d'exemplaires.

 

Il devient roman pour des gens que je ne connais pas. Les personnages se transforment, s'en vont, se matérialisent, se dématérialisent.

Le livre vit ailleurs. Dans l'imaginaire des inconnus qui le déchiffrent, chez eux, en bibliothèque, dans le train, en transport en commun, partout. Dans ce rare aspect noble et beau de la littérature, le nombre des lecteurs n'a aucune importance.

Je me souviens avoir participé à un salon du livre qui mélangeait des auteurs édités à compte d'éditeur (et pas des moindres) à des auteurs édités à compte d'auteur. A proximité de ma table il y avait un type qui s'auto-éditait. Il s'était fait connaître dans les villes environnantes, car il était du coin et avait eu des articles dans la presse locale. Je l'ai vu discuter avec ses lecteurs. S'il avait vendu deux cents exemplaires de son bouquin, c'était bien le bout du monde. Eh bien, ce gars voyait, tout comme moi, son propre origami s'envoler. Son plaisir n'était pas moindre au mien – sûrement était-il même supérieur.

 

J'ai donné la vie. J'ai fait le monde de mon monde. Et, le temps des deux heures trente-sept minutes qu'il faut à tel quidam pour lire mon roman, tout a existé.

 

Je ne sais pas à quoi l'on peut comparer ça.

Mais c'est comme l'héroïne.

L'essayer, c'est l'adopter.

Cela dit, comme l'héroïne, on peut en décrocher... c'est dur, ok, cependant c'est faisable.

 

 

Voilà.

Aujourd'hui, c'est tout ce que je peux dire à ce sujet.

 

 

 

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