Quand l’on me demande pourquoi j’écris, je réponds que c’est parce que je ne sais rien faire d’autre.
Vous avez sûrement connu, ou avez vous-mêmes été, à l’école, l’élève qui griffonne en marge de ses cahiers. Les gens qui savent dessiner dessinent.
Les gens qui savent écrire écrivent.
Dans mon cas, ce fut surtout l’imagination qui me porta à l’écriture. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours raconté des histoires.
Aujourd’hui, je suis ce que les éditeurs appellent « un auteur » (ils n’utilisent que très rarement le terme « écrivain »). C’est-à-dire qu’on me paye pour les histoires que j’écris.
J’ai calculé mon revenu horaire pour mes petits talents d’écrivain.
Cela nous donne 0,65 € de l’heure (pour 48 semaines de travail dans l’année, 12 heures de travail hebdomadaires, et environ 4 années consacrées à un roman avant son édition, sur le total de mon à-valoir – qui est mon salaire).
J’ai sciemment vu mon temps de travail à la baisse, pour ne pas biaiser le résultat, puisque je planche souvent sur plusieurs projets à la fois.
Partant pour la littérature avec le bagage que je me traînais (pauvre, jeune, sans diplôme et sans relation), je ne me suis jamais fait de grandes illusions sur ce que ce « métier » avait à m’apporter.
Et je m’étonne encore de constater l’intérêt de certains éditeurs pour mes productions.
Là-dedans, je suis le chien dans le jeu de quilles lettrées (comme je le suis dans mon parti politique).
Je ne connais aucun des auteurs, ou des critiques littéraires, que me citent les éditeurs en guettant ma réaction avec impatience.
Je ne lis pas la presse spécialisée, ni les autres auteurs qu’ils éditent.
En tant que communiste, je suis la curiosité excentrique des maisons d’édition, que l’on mitraille de questions et que l’on exhibe en espérant : « un pauvre invité à notre table, ça nous portera chance ».
Bien sûr, il est hors de question de faire la promotion de mes livres sur le critère de ma position politique.
Je laisse passer tout cela avec la résignation légendaire des pauvres.
J’en ai vu d’autres.
Quand on se lasse de me faire parler matérialisme dialectique devant un parterre de politico-mondains enchantés, on me demande donc d’écrire des livres.
Comme je ne suis pas très intelligent, ni très vif d’esprit, je mets un certain temps à pondre une « œuvre » (du moins, une œuvre publiable).
Et comme je ne suis pas non plus très pressé que « l’œuvre » en question soit métamorphosée, déchiquetée et rapiécée par les éditeurs…
Je prétends travailler sur « un nouveau projet qui déchire » - projet dont, en fait, je n’ai rédigé qu’un premier jet absolument insatisfaisant, et que toute compte fait, je n’aime pas, et dont je ne veux plus entendre parler.
A la vérité, il y a des périodes où, vidé, repu, ennuyé et fatigué, je n’ai plus la moindre idée.
Cela me culpabilise, et Aniki, compatissant, me rappelle :
- Souviens-toi quand on a vu Philip Roth à la télé, il disait que ça lui faisait pareil et…
- Mais je ne suis pas Philip Roth !
Les éditeurs se montrent moins conciliants.
- Essaie d’écrire au moins mille mots par jour, ça t’entraînera…
Je préfère encore expliquer pourquoi j’encule l’esthétique à un repas politico-mondain, croyez-moi.