Aniki....
Il y a une semaine, j’étais fort, confiant, sarcastique, heureux, rigolard.
Bref, j’étais moi-même.
Je maniais (ou tentais de manier) la dialectique marxiste autant que faire se peut, assénais mes analyses avec un sourire arrogant – le soir, pour toi, en guise de décryptage de nos pérégrinations quotidiennes.
J’étais le meilleur.
J’étais le sauveur inattendu, improbable, surdoué de la littérature contemporaine.
J’avais du succès. Par mes livres, par mon physique, par les éclats de rire que je savais provoquer, chez toi.
La nuit, je m’endormais avec ton bras passé autour de ma taille.
Maintenant, je ne suis plus rien.
Tout ça parce que tu n’es pas là – pour six jours.
Toutes mes constructions mentales ô combien rationnelles et matérialistes se sont effondrées.
Je tiens difficilement le coup en allant voir des potes et ma famille, en regardant des films, en essayant un peu de travailler.
Je souffre.
Je n’ai guère plus d’appétit.
Je ne suis plus que l’ombre de moi-même.
Bien sûr, comme j’ai de l’orgueil et que j’aimerais être quelqu’un de tout à fait exceptionnel (ce que je ne suis pas), j'explique tous ces symptômes par une crise de folie imminente.
Un ami se dépêche de me rappeler au réel :
- T'es tout seul, là, pas vrai ? Aniki est parti ?
J’accouche d’un acquiescement étranglé. Mon pote se marre.
- Oh, mais ça a rien à voir avec une crise de folie. Tu nous fais un adorable et mignon petit chagrin d’amour.
- Quoi ?
- Ouais. C’est carrément normal. Arrête de te trouver d’autres raisons à la con. T'es triste. Parce qu’il n’est pas là. C’est tout ! Tu vois, quand je te disais que l’amour est une putain de forme d'aliénation… Là t'es en train de te la prendre en pleine gueule, l'aliénation !!
- Mais quel con je fais ! Je devrais pas me laisser faire comme ça. Je suis censé être marxiste-léniniste !
- Oui, t'essaies. Moi aussi. Mais qu’est-ce que tu veux. On se conforme malgré tout aux us de notre époque.
- J’en ai marre de l’amour. C’est un fils de pute, l'amour !
- C’est bien pour ça qu’on essaie d’être hyperréalistes radicaux, mon coco.
Comme quoi, ma vie, elle est trop intéressante.