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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 19:35

 





 

Aniki s'en va. Pour le boulot. Pour quatre jours, quatre nuits.


On m'ampute.


Je vais me réfugier chez un copain. Un vieux camarade, plus de quarante années d'adhésion au Parti, des décennies passées dans l'édition parisienne. Je me prépare à écouter des heures d'anecdotes drolatiques sur la Sorbonne, mai 68, le politique, la politique, le politico-mondain, les livres, les auteurs, les éditeurs, les intellectuels...

Le copain habite dans le sud de la France, dans ce qu'on prétend être un paradis terrestre. Là-dessus, j'émets des doutes : ce n'est pas ma patrie.

Mes potes me jalousent.

- Tu passes deux jours à la campagne gratis ?

- Non, je paie le train...

- Mais t'es logé aux frais de la princesse !

Je hoche la tête sans enthousiasme...

Las de ces longues journées où il n'est pas là, las de souffrir, j'ai pris la grande décision de m'extirper de mon quotidien et de fuir.


Je décampe avec un statut de réfugié, démoli à l'idée de quitter ma patrie – les quatre-vingts kilos d'Aniki.


Je suis la victime universelle du mensonge ignoble qu'est l'amour.

Je hais l'amour.


Pendant quatre jours, il a été à mes côtés.

Dont trois à Paris, où j'étais appelé par l'avenir grandiose de la littérature française.

Il m'a suivi, patient, silencieux, admiratif. Comme je n'aime ni les mondanités, ni les rendez-vous importants, il a pris le temps d'écouter mes lamentations et de me réconforter.

Il a supporté les heures perdues à la terrasse des bars – car perdre des heures à la terrasse de bars, c'est ça le rendez-vous d'affaires de tout auteur qui se respecte – entre deux librairies, entre deux personnages importants, bref, partout où j'étais exhibé, moi, mes romans et mes intonations de banlieusard (la bourgeoisie germanopratine fut, bien entendu, enchantée).

J'avais envie de rentrer chez moi.

Il a encaissé les conversations codées, les potins « qui a signé quoi chez qui ? », les considérations indispensables sur « le dernier Machin paru chez Bidule », les critiques méchantes, les moqueries suffisantes – toutes ces petites habitudes dont je suis, désormais, un familier.


Tous les deux, nous avons traversé Paris du Sud au Nord, à pied.


De retour chez nous, dans le TGV, nous avons piqué un fou rire en nous moquant de l'Humanité Dimanche.

Ce qui n'est pas bien, je le sais.


J'écope d'un sursis, lundi. Son avion décolle beaucoup plus tard que prévu. Nous passons l'après-midi ensemble.


Puis, il s'en va.

Heureusement, le soleil n'est pas encore couché. Je renâcle à retirer la chaise qu'il place immanquablement devant le canapé, pour poser ses pieds.

Cela dit, elle me gêne, cette chaise.

Je la pousse. Le geste est d'une violence. Mentale.


L'appartement est vide, exondé de ses rires, de l'écho de sa voix, de sa présence saurienne – son pas lourd, lent, tranquille, son être immense, la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre, lui donnent l'assurance massive d'un gigantesque dinosaure herbivore. Un brachiosaure.

Je connais bien les dinosaures.

Au coucher, je dispose ses vêtements, empreints de son odeur, à côté de moi dans le lit.


Me rendre au boulot, et travailler, devient, quand il n'est pas là, un plaisir exquis.

Je ne pense pas. Je fais ce que j'ai à faire. Je l'oublie.


L'après-midi, je fais mes bagages.

Il y a bien longtemps, j'avais piqué à mon petit frère le « véritable chapeau d'Indiana Jones » – un feutre brun. Il l'avait obtenu en découpant patiemment des points sur les emballages d'une marque de chocolat.

Histoire de me convaincre de mon potentiel d'aventurier, je m'en coiffe.

Je n'aime pas partir de chez moi, je n'aime plus l'aventure, je n'aime pas briser la routine. Une adolescence plus ou moins errante, passée en grande partie sur le réseau ferré de France, une expatriation soudaine au Canada, puis de longues routes à travers l'Amérique du Nord, ont fait de moi un casanier exemplaire.

J'emporte l'épreuve de mon prochain bouquin, un Philip Roth, mes cigarettes et mon lecteur MP3.

A la gare, j'achète Le Monde, évidemment. Pour me tenir informé des états d'âme de la bourgeoisie.


Enfin, là-bas, je me retrouve en rase garrigue.

La maison du copain est chaleureuse. Des peintures, partout. Les siennes. Le chien, les chats.

Le soleil se couche sur les montagnes. Ce spectacle rousseauiste me laisse, je dois l'avouer, relativement indifférent.

La nuit, un silence total. Sinon le hibou du coin qui s'en donne à cœur joie. Je cherche en vain le sommeil, sans le ronronnement des voitures pour me bercer. Les cris de la faune nocturne propre à mon quartier me manquent presque.

J'ouvre la fenêtre. Pas un bruissement d'herbe.

C'est glaçant.

Le bitume, l'asphalte, les enseignes au néon, me manquent. Mais au moins, je cesse de penser à lui. Espèce de con.


Il m'appelle.

- J'arrive pas à dormir...

- Moi aussi. T'es à l'hôtel ?

- Mmh. Le lit est trop dur. T'es pas là. Comment tu veux que je dorme ?

- Moi, j'entends RIEN. Je te jure, y'a pas un bruit.

- Ça se passe bien ?

- Super. Le copain parle beaucoup... Ça m'occupe de l'écouter. J'arrête de penser tout le temps à toi. Sauf que tu m'appelles. Sale connard.

- Hé hé.

- Bon, j'ai Philip Roth avec moi.

- T'es bien accompagné.

- Je vais rallumer et le lire un peu.

- Un peu ?

- Mmh. Je veux me coucher tôt, enfin, avant une heure du matin. Sinon demain je vais me lever tard, et demain soir, j'arriverai pas à m'endormir non plus.

- Et qu'est-ce que ça peut faire ?

- Ca fait qu'après-demain, je dois me lever à sept heures pour aller bosser et que j'aimerais bien passer une nuit normale.

- T'as beau avoir traversé la moitié de la France, t'es toujours aussi psychorigide.

- Et toi, t'as beau avoir parcouru des milliers de putains de kilomètres, t'es toujours aussi insomniaque. Quelle heure c'est, chez toi ?

- Deux heures.

- Tu vois, ça te fait du mal de t'éloigner de moi. Quand je râle parce que tu t'en vas, c'est pas de l'égoïsme. C'est dans ton intérêt.

- T'es tout seul dans ta chambre ?

- Non. Il y a donc Philip Roth. Et le chien. Il a raclé à la porte jusqu'à ce que je lui ouvre. Je sais pas ce qu'il a. Enfin, si. Il est tombé amoureux de moi. Il dort au pied du lit, là.

- Je le comprends.

- Quel salaud tu es. Tu t'en rends compte ? Regarde ce que tu me fais faire. Moi. Paumé en rase campagne. C'est dingue et contre-nature.

- Mais tu es contre-nature. Puisque tu soutiens que du moment qu'il y a culture, il n'y a plus nature.

- T'es chiant, en plus de ça. Et au passage, c'est foutrement vrai ce que je soutiens sur la nature. Y'a pas de saloperie de nature nulle part. Putain, le hibou, il me gave. Raconte-moi ta journée.


Nous parlons pendant une bonne heure.


Lorsque je trouve finalement le sommeil, je dors comme un bébé.


A mon réveil, j'ai l'impression d'avoir dormi cent ans.

J'ai rarement vu une lumière aussi pure, aussi accueillante et aussi chaude, à huit heures du matin. J'évolue dans la maison au ralenti, afin de savourer au possible la plénitude de l'instant. Je déjeune d'un café et d'une brioche avec le copain.


Je prends le train en sens inverse.

Je retrouve la culture, envoie chier la nature, me délectant de l'odeur de gomme brûlée du métro, des klaxons, du bordel ambiant de mon quartier, de la super « junk food » que je m'envoie en investissant cinq euros dans un kébab.


Maintenant, il ne reste plus que tu sois rentré.


aniki-quotidien.jpg


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commentaires

S
<br /> <br /> Allez les mecs, vous vous en remettrez.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Putain hier le cas que m'a soumise une internaute, question arnaque éditoriale, il était aux petits oignons. 27 ans dans le métier, jamais vu ça ! J'en suis encore époustouflé.<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Eh oui ALAIN,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> et nos coms se sont croisés à la seconde près, mais sans télépathie quand même puisque tu peux le constater , je suis en train de guérir de ma stonite, au sens de volonté<br /> d'identification d'un homme (t'as vu au fait "Identification d'une femme" d' Antonioni? Chiant, dirait Stoni je parie, moi je trouve ce film beau et poétique, quoiqu'un peu cérébral et<br /> manquant de "tripes"...)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Par contre je continuerai A L'OCCASION (les majuscules pour le rassurer, ne soyons pas trop méchant tout de même avec lui, il nous distribue au moins généreusement les trésors d'un blog à la<br /> fois marxiste et plein de verve et d'humour comme il y en a peu) <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> à taquiner Stoni au sujet de Rimbaud, qui est mon idole absolue en poésie, mais pas pour le sentimentalisme genre "Le dormeur du val" bien que ce texte me touche, non, plutôt pour les<br /> incroyables fulgurances visionnaires et mystiques athées (très rare, cela, très!!) des "Illuminations"!<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Pauvre Oscar, te voilà pris d’une « stonite » aigue (l’irrépressible besoin de savoir ce qui se cache sous le sac en carton). Mais nous avons déjà été pris au piège, r1 et moi,<br /> avons déployé des trésors de stratagèmes et d’ingéniosité, ils n’ont servi à rien, le maître s’est montré inflexible, et vois comme aujourd’hui encore il vole au secours de la veuve et de<br /> l’orphelin qui se sont vu malmenés par le système draconien de l’édition française sans daigner tendre l’oreille aux doléances du retraité flamboyant !... Misère…<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Au fait, quel jour choisis-tu toi, STONI, pour rendre hommage à ton aîné que je suis, haha!! Pas "honneur oblige", cette fois, devise aristo, mais Révolution française oblige lol!<br /> <br /> <br /> Et attention, il ne s'agit ni de mes vers ni de ma prose, mais juste de lever ton anonymat, ce serait le plus bel hommage à rendre à tous tes fans quel que soit leur âge d'ailleurs.<br /> <br /> <br /> Bon je sais que je deviens lourd, là, je vais tâcher de ne pas y revenir de sitôt et à mon tour je change de sujet:<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> A CASTOR LAMA<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> si jamais il revient aux aurores par ici rendre hommage à Simone ou à la barbe du capitaine Haddock:<br /> <br /> <br /> Baudelaire, oui, c'est déjà la honte comme il le traite, mais tu n'as encore rien vu: cherche voir si tu aimes la poésie l'article "Rimbo the bibelots destroyer", là tu seras vraiment édifié: si<br /> tu aimes Rimbe, je te promets alors à l'occasion de cette lecture une petite saison en enfer, hahaha!!!!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> A STONI: t'as vu comme j'ai changé de sujet? Satisfait ou remboursé?<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Je signe ! (la pétition)<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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