J'avais déjà exprimé ce que je pensais du joyeux luron Rimbo dans une courte définition.
Seulement, Aragon l'a fait avant et mieux que moi, et c'est plutôt rigolo.
Pour mes lecteurs amateurs de Rimbo, je précise que l'ouvrage dont est tiré cet extrait n'est pas tout à fait sérieux. Rigolo, quoi.
« Le jeune homme à cette heure lit d'une façon toute crépusculaire. Mais qu'aime-t-il donc ? Rimbaud. Voilà qui, à première vue, semble intéressant et encourageable. L'atmosphère, après un nombre respectable d'années, est devenue favorable à l'insupportable voyou, que disait ce génial Rémy de Goncourt. Maintenant tout est clair dans l'aventure rimbaldienne, pas un sale petit bourgeois qui renifle encore sa morve dans les jupons de Madame sa mère qui ne se mette à aimer les peintures idiotes et ne s'écrie : « Trois jeunes filles nues, ce titre devant moi dresse, ma parole, des épouvantes ». Pas un ignoble petit rentier, pas un fils d'officier, pas une graine de rond de cuir, pas un de ces imbéciles heureux à qui on vient d'offrir une motocyclette pour le jour de l'an, pas une fausse couche élevée dans du papier de soie, pour qui Rimbaud ne soit un autre soi-même. Tout ce qui attend un héritage parle de disparaître un jour. J'ai déjà dit que j'y reviendrai. Pour l'instant ce que j'étudie dans ce phénomène est la grande commodité antipoétique du rimbaldisme contemporain. Car l'anti-poésie n'est plus une chimère dialectique. Elle a pris corps, dans un temps sportif, elle est devenue système, elle a même au besoin des fondements métaphysiques. Le succès de Rimbaud, puisque telle est la saloperie des faits qu'il peut être question du succès de Rimbaud, est en grande partie dû à la curieuse moralité qu'on prête à sa vie. Car ils ont si bien arrangé les choses, que la vie de Rimbaud de nos jours est prise à témoin contre la poésie même. Cette absurdité a cours. Ainsi, chaperonnés par Rimbaud, nos jeunes industriels, nos magistrats en herbe passent superbement condamnation sur tout ce qui les emmerde d'une façon congénitale. Enfin plus n'est besoin de lire tous ces vers. L'ignorance est de mise. Les livres peuvent dormir dans la poussière, ça n'est pas fait pour ces mains soignées. A la rigueur, on va au théâtre, avec les femmes. Mais lire. Des poèmes. Nous avons dépassé ce stade, songez donc. Hugo, Nerval, Cros, Nouveau, on ne va pas nous faire marcher avec ces refrains d'autrefois. Je me suis même laissé dire par un ancien ami que j'avais le goût du bibelot, avec ma façon de m'intéresser à tous les petits romantiques. Il paraît que j'ai de la condescendance pour les poètes mineurs. Et pourtant par là on entend Pétrus Borel, ce colosse. »
Traité du style (1928), pages 58 à 60, L'imaginaire, Gallimard, 1980.
En quatrième de couverture de cette édition, vous pourrez lire une bonne petite présentation de Jean Ristat, un peu plus en verve à l'époque que ces derniers temps dans les grises colonnes des Lettres françaises.