Tout ce qui ne concoure pas au progrès humain, à la construction du bien-être collectif, est réactionnaire.
La réaction, ça n’est pas compliqué : retour en arrière, négation de l’Histoire (et pourrissement de l’Histoire), arrêt sur image, boum ! On ne progresse pas.
Les freudiens appellent ça la régression.
Les marxistes diront que c’est contre-révolutionnaire : la réaction n’aide pas la Révolution, on est d’accord.
La marche de l’Histoire, ce n’est pas compliqué non plus. C’est l’avancée vers un mode de production plus efficace (en termes démographiques, un système économique qui nourrira au mieux le maximum de monde). Notre avenir est promis dans un mode qui conciliera production et consommation, sans intermédiaire. Comprenez : ce que vous produirez vous appartiendra de plein droit.
Les marxistes appellent ça le communisme.
Une fois posées ces définitions essentielles, vous pouvez affirmer : la beauté est réactionnaire.
D’une, la beauté n’existe pas.
Il n’y a pas de beauté, nulle part. C’est un concept intersubjectif : la beauté n’a de valeur que celle que l’esprit humain (le sujet, le subjectif) voudra bien lui accorder. La beauté est un consensus de plusieurs subjectivités, en l’occurrence d’une société (intersujbectif).
Et c’est d’ailleurs aussi l’exacte définition du fric, d’où l’expression monnaie fiduciaire, monnaie de confiance.
Personnellement, le concept de beauté me dérange beaucoup plus lorsqu’il est appliqué à l’être humain.
Après tout, je m’en balance pas mal qu’on trouve un tabouret magnifique. Tant pis pour le tabouret ! Mais un être humain, merde, ça me fait chier quand même.
Ici arrivent : les Tronches de Steak.
La Tronche de Steak
La Tronche de Steak est, à l’heure actuelle, le physique hollywoodien, et le consensus du beau contemporain.
Ce qui est beau est : la Tronche de Steak.
Il nous fallait une définition, pour rendre le concept plus palpable. Et force est d’admettre que l’expression « Tronche de Steak » est un peu plus marrante que « Physique Hollywoodien ».
Donc, la Tronche de Steak sera le critère de beauté façonné par le code de notre époque.
Pour la femme, la Tronche de Steak « éternelle » reste Marilyn Monroe (dont le destin romantico-tragique ajoute un zeste de mythologie – et la mythologie est réactionnaire).
Pour l’homme, la Tronche de Steak est assez bien symbolisée par Brad Pitt.
Bref, des nénettes et des gus devant lesquels vous êtes censés vous extasier, et auxquels vous devriez rêver de ressembler, bien entendu !
Pourquoi « Tronche de Steak » ?
Allumez votre télé, et vous ne zapperez pas longtemps avant de tomber sur une Tronche de Steak. La beauté physique est, de toute manière, fatalement vouée à occuper la fonction visuelle du bout de viande, et peu importent ses critères.
La Tronche de Steak n’est pas, en tant que personne, coupable de son état. Ne soyez pas méchant envers les Tronches de Steak. Ils n’y sont pour rien, les pauvres. Le hasard, ou la chirurgie plastique, ou les deux conjugués, ont fait d’un individu quelconque une Tronche de Steak en puissance. De ce fait, cette personne exerce un métier de Tronche de Steak (acteur, chanteur, journaliste présentateur du 20 heures, animateur télé, mannequin, etc.).
Pire encore, si votre visage s’avère correspondre aux critères de beauté, vous êtes vous-même une Tronche de Steak involontaire ! Sans pour autant que ce soit votre métier, je vous l’accorde. Mais les gens vous traiteront en Tronche de Steak du bas peuple prolétaire, et, cela est surtout flagrant chez les femmes, votre vie en sera un peu plus facilitée.
Vous aurez compris que le problème, ce n’est pas la Tronche de Steak en soi, mais le code épistémologique, bref, la culture, qui va produire le concept de Tronche de Steak.
En quoi le concept de Tronche de Steak est réactionnaire ?
Comme je l’ai dit plus haut, ce qui est réactionnaire ne concoure pas à l’établissement du bien-être collectif.
La beauté est, à ce titre, un exemple édifiant : ceux qui ne sont pas « beaux » s’en prennent plein dans leur gueule (de moches). J’ai toujours eu une pensée émue pour ces filles qui ne correspondent pas au « beau » (petits yeux, gros sourcils, gros menton et gros pif), et ce qu’elles doivent endurer chaque jour.
Eh oui, la beauté est aussi réactionnaire en cela qu’elle concourre à l’oppression de la femme.
Ne croyez pourtant pas que la beauté opprime la femme parce que ces salauds de mecs l’ont décidé, un beau jour, et s’y sont donné à cœur joie.
La beauté opprime la femme en raison de la place qu’elle a toujours occupée dans les rapports de production, depuis l’établissement de la propriété privée : elle est l’enjeu de la transmission du patrimoine.
Ainsi, la conduite politique de féminité naquit, car l’homme contrôla, boucla et surveilla la femme qui devait enfanter son fils, et pas celui d’un autre : ça aurait fait chier le propriétaire qu’un bâtard hérite de son patrimoine, n’est-ce pas. Depuis ce jour-là, la femme fut l’inférieure de l’homme (pour en savoir plus, lisez Engels L’origine de la famille…).
Chez les pauvres, la femme devait néanmoins bosser (économie domestique) et n’était pas tout à fait coupée des rapports de production.
D’où la moindre importance de la beauté chez des paysans de l’an 647, dont la femme avait les orteils enduits de mycoses, les mains ridées et tavelées par le travail, l’haleine pas extrêmement fraîche et quatre marmots dans les bras (plus les projections de vomi sur son tablier).
Chez les riches, la femme devint rapidement un surplus démographique qui ne servait à rien, puisqu’elle n’avait rien à faire chez elle (des servantes s’en occupaient à sa place, et des nourrices allaitaient les chiards).
La gente dame fut coupée des rapports de production à fond du ballon.
De plus, la fille de lignée noble devint rapidement un enjeu dynastique (le regroupement des familles, donc des terres), et se métamorphosa en valeur d’échange (en pognon, quoi).
Croyez-moi, question sexisme, la richarde en a bien plus bavé que la pauvresse, pendant le haut Moyen Age.
Cela dit, la femme, en tant que surplus démographique, était potentiellement dangereuse. Un surplus démographique, s’il n’est pas occupé et ne trouve pas son compte dans une société, est susceptible de se rebeller et de déclencher une révolution, pour justement trouver sa place.
Alors, on occupa la femme en inventant la féminité : la broderie, la coquetterie, l’amour galant (où un autre surplus démographique trouva aussi son emploi : le chevalier) et la beauté.
De ce modeste cours d’histoire pour les nuls (et professé par un nul), retenez une bonne chose : la beauté a été inventée pour retarder, voire annuler, une potentielle Révolution progressiste.
QUE FAIRE CONTRE LE CONCEPT DE TRONCHE DE STEAK ??
Malheureusement, avec un tel matraquage idéologique, vous n’y couperez pas : vous êtes rongé par le concept de beauté physique, et cela durera certainement jusqu’à trépas.
Moi-même, je tente de me révolutionner et de ne plus croire au beau physique.
Résultat : j’ai créé une catégorie de mon blog toute dévouée aux beaux gosses.
J’ai voulu faire table rase de la beauté, et voyez un peu ce que ça a donné. Un fiasco total.
Alors, ne vous flagellez pas, ce n’est pas si grave que ça.
L’important, c’est que désormais vous savez que la beauté c’est de la connerie.
En marxisme, la connerie, on l’appelle l’aliénation.
Bien sûr, comme ça, ça a pas l’air transcendant, comme prise de conscience.
Mais vous vous sentirez mieux. Et principalement, vous vous inscrirez dans une démarche potentiellement révolutionnaire (potentiellement, je le répète).
Vous marcherez sur la voie de la désaliénation.
Peut-être que vous n’arriverez jamais à vous désaliéner pour de bon.
Mais vous aurez au moins posé les bases théoriques de cette désaliénation, et d’autres, après vous, peut-être vos petits chiards, sauront concrétiser ce travail.
Ce qui s’incarnera en cela : quand vos chiards verront les vieilles photos des stars, de mannequins, et toutes ces conneries, ils soupireront : putain, j’ai rien à en foutre !
Ce seront des révolutionnaires.
L’IMPASSE REACTIONNAIRE DE L’ANTI-THESE A LA TRONCHE DE STEAK
Ce qu’il ne faut surtout pas faire, en revanche, mes chers lecteurs, c’est adopter la stratégie anti-thèse de la Tronche de Steak.
Soit, d’envoyer chier la beauté Tronche de Steak, mais d’en inventer une autre !
Cela n’aurait aucun intérêt, puisque vous ne feriez que répéter la même aliénation, mais sous une autre présentation formelle.
Par exemple, face à Marilyn Monroe, vous décidez de considérer comme beau l’exact contraire.
Ou alors, vous érigez le monstre comme acmé de la beauté.
Ainsi apparut le canon « brindille Kate Moss » (déjà annoncé par Twiggy). Loin d’être une révolution esthétique, le mannequin filiforme n’est qu’une négation de la mamelue Marilyn Monroe.
Là, vous répétez le même, vous ne faites pas avancer l’Histoire !
Ceci est d’ailleurs une parfaite illustration de la dialectique hégélienne :
Thèse : Marilyn Monroe
Anti-thèse : Kate Moss
Thèse + anti-thèse = impasse, pourrissement de l’Histoire.
Sortie de l’impasse = synthèse
Synthèse = ni Marilyn Monroe, ni Kate Moss, mais l’abolition de notre croyance au concept de la beauté, qui lui, est le vrai problème.
L’Histoire avance.